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les grands artistes classiques.

leurs communes maximes, et s’arrêta, dans l’usage de la paresse et du plaisir, au juste point où ni sa santé ni son intelligence ni ses intérêts n’étaient compromis, était une robuste nature ; il n’y a rien de mièvre ni d’épuisé dans ses vers. On n’y retrouve guère ce pétillement de fantaisie, qui rendaient Chaulieu séduisant dans un souper, au Temple, à Saint-Maur ou à Sceaux.

À la fin de sa longue existence, ce très profane abbé a ressenti dans ses sens et dans son âme une ombre des impressions qui font la douloureuse beauté de l’Ecclésiaste. En son léger et clair langage d’homme du monde, il a laissé couler dans quelques pièces et dans quelques lettres une fine tristesse, sans éclat et sans espoir, dont l’emplissaient la vue de la vanité des choses, le sentiment de l’irrévocable passé, de son être, tout entier ; pour jamais écoulé, et par ces douces sensations même où il aspirait. Rien ne compense et ne contrepèse chez les derniers poètes du grand siècle les navrantes désillusions de l’égoïsme voluptueux : plus tard, le dévouement à l’humanité, la bienfaisance, la recherche du progrès social apporteront au sensualisme un principe de joie et d'espérance et aideront l’homme à se reprendre, à se relever par l’action. Tout cela manque à Chaulieu. Tout cela manquait à ses contemporains : de là ces accents qu’on trouve parfois chez eux, si amers sous la grâce souriante des formes.

Une chose pourtant soutient Chaulieu et le rassérène : l’intelligence. Par elle, il comprend la loi de l’univers, qui implique la mort. Par elle, il se fait des idées de la nature et de Dieu, qui ôtent à la mort sa menace et son effroi. Par elle, il devient capable de mourir élégamment, c’est-à-dire paisiblement ; il définit en vers lumineux les trois manières de mourir, épicurienne, panthéiste, et déiste, qui reviennent toutes les trois à mourir en philosophe, avec le sourire de l’acceptation ou de la confiance.