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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/594

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les grands artistes classiques.

gouverneur. Cette honorable, rude et ingrate fonction l’absorba pendant dix ans (1670-1679). Se voyant attaché à la cour, il se démit de son évêché, par un scrupule rare en ce temps-là : il estimait que la résidence était de stricte obligation. L’insurmontable incuriosité du Dauphin, nature apathique et têtue, rendit inutiles les efforts, le dévouement, la sévérité du gouverneur et du précepteur.

Bossuet avait conçu cette éducation sur un plan sage et large, qu’il nous fait connaître dans une lettre latine adressée au pape Innocent XI. Il voulait que son élève ne demeurât étranger à aucune connaissance humaine. La religion était au premier plan, mais n’excluait rien : le Dauphin lut Térence, pour apprendre à se garder des pièges de la volupté et des femmes. Le danger des éducations encyclopédiques fut écarté par la fermeté du précepteur, qui fit prédominer dans toutes les études un caractère strictement utilitaire. Il ne perdit pas un instant de vue qu’il ne formait ni un homme de lettres ni un savant, mais un roi : il apprit au Dauphin tout ce qu’un roi doit savoir, il lui présenta toutes les connaissances par le côté qui pouvait l’aider à faire son métier de roi. Il s’attacha à lui former surtout le caractère, à développer la raison, en ornant l’esprit.

Afin d’éviter et le surmenage et les lacunes, et pour apprendre au Dauphin tout ce qui était utile, mais rien qui ne fût utile, afin d’assurer aussi l’unité morale de la direction, il se chargea lui-même de donner tous les enseignements : il rapprit le grec, l’histoire : il se fit donner des leçons d’anatomie : il n’abandonna à d’autres maîtres que les mathématiques. Il s’astreignit à composer tous les ouvrages dont le Dauphin pouvait avoir besoin ; et les rédactions de l’écolier, que l’on a conservées, attestent sur quelle étude solide des textes Bossuet établit son cours d’histoire ; pour le xvie siècle surtout, il a dépouillé soigneusement tous les principaux mémoires. L’esprit est large et libre, chrétien sans bigoterie, monarchiste sans servilité ; les papes et même les rois sont hardiment, sévèrement jugés. Parmi les ouvrages composés pour le Dauphin, il en est trois de considérables : le Traité de la Connaissance de Dieu et de soi-même, auquel on peut joindre la Logique et le Traité du libre arbitre, la Politique tirée de l’Écriture Sainte, et le Discours sur l’histoire universelle.

Une fois l’éducation du Dauphin terminée, Bossuet fut nommé au siège de Meaux (1681) : et tel était l’ascendant de sa science et de son éloquence, que, simple évêque, et de médiocre naissance, il fut le véritable chef de l’assemblée du clergé de France, qui se réunit à la fin de 1681. Il inspira la Déclaration de 1682, formulant les libertés de l’Église gallicane : indépendance des