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la poésie.

trouvé — non la chose — mais le mot. Il ne s’agit que de poser élégamment les termes du problème, de façon que la solution se présente instantanément à l’esprit. Ou traite le vers mathématiquement, par le compte exact des syllabes. Du son des mots, on n’a cure, et par conséquent on néglige la rime ; bonne ou mauvaise, elle indique suffisamment la fin du vers : et n’est-ce pas à cela qu’elle sert ? On ne sait plus ce que c’est que le rythme : il ne s’agit que de mettre la césure ici ou là.

Pour être justes, disons qu’on a fait au xviiie siècle des vers charmants, et beaucoup : dans les genres où l’esprit suffisait. Je ne dis rien des contes ; la polissonnerie froide et concertée y étouffe l’esprit ; il n’y a là pour nous qu’ennui et dégoût. La satire lyrique du xvie siècle ou du xix ne saurait se rencontrer ; mais on trouvera la satire analytique, critique, épigrammatique, le pamphlet en vers, amusant ou virulent, qui dissout les doctrines ou diffame les hommes. Un provincial gauche, à qui les salons ne firent pas fête, Gilbert, a trouvé dans les blessures profondes de son amour-propre une source d’amertume éloquente : il a vu le faible de son siècle, les petitesses de ses grands hommes, et sa raillerie s’est abattue, précise, lourde, assommante. Voltaire est exquis, quand il lâche la bride à sa verve et se moque de tout ce qui le gêne, hommes et choses : il arrive dans le Pauvre Diable, dans les Systèmes, dans la Vanité, à égaler sa prose par ses vers.

Il est le maître aussi dans les stances, les épitres, dans tous les genres agréables qui fixent l’esprit de la conversation. Il a été à bonne école, il a recueilli chez Vendôme et chez la duchesse du Maine la tradition des Hamilton et des Chaulieu : il a le secret charmant de ces choses légères, qui s’évaporent à l’examen et semblent faites de rien. Une pointe d’idée, une ombre de sentiment, c’en est assez, et toute la nature de Voltaire se répand dans ces petites pièces.

En ce genre, il y aurait bien des noms à citer. Je ne nommerai que Gresset, chez qui point déjà un air de rêverie mélancolique étouffé sous la volonté de rire, et Piron, l’intarissable, gaillard et drolatique Piron, qui n’a jamais rien dit de plus plaisant que les mots de bonne foi où il se mettait sans rire au-dessus de Voltaire. Voltaire, même dans la poésie légère, reste infiniment supérieur à Piron, comme à Gresset, comme à tous les autres : il est au-dessus du genre ; il a des idées, qui lui donnent corps et substance. Les autres sont trop vides. On est vite fatigué de ce miroitement, de ces reflets, de ces paillettes, de ces étincelles.

Enfin, je mettrai à part les épigrammes : c’est le triomphe du siècle. On en faisait si naturellement, si infatigablement en prose, qu’il n’est pas étonnant qu’on en ait fait en vers de réellement