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les formes d’art.

Entretiens de Fontenelle sur la pluralité des mondes, à la peinture de Watteau et de Lancret. Elle représente, dans la poésie dramatique, l’art français du xviiie siècle.

« Moderne » par insuffisance d’éducation et inintelligence de l’antiquité, irrespectueux jusqu’à mettre en style burlesque et insipide l’Iliade et le Télémaque, Marivaux était qualifié pour se faire bien venir de Fontenelle et de La Motte, pour être accueilli dans les salons de Mme  de Lambert et de Mme  de Tencin : voilà le groupe où il se classe. Pauvre, sensible, nerveux, pétri d’amour-propre, assez difficile à vivre, abondant en idées, et se dégoûtant dans l’exécution aussi vite qu’il s’était enflammé dans la conception, il créa des journaux d’observation morale qui ne vécurent pas, il écrivit des romans qui n’eurent pas de fin. Avec lui s’établit, à la place de l’imitation des anciens, le commerce littéraire de la France et de l’Angleterre : il y a action et réaction réciproque. Ses journaux, où s’unissait la réflexion philosophique à la description pittoresque des mœurs, étaient dressés sur le plan du Spectateur, dont on avait donné des traductions dès 1715 : en revanche, sa Vie de Marianne inspirait Richardson.

Au théâtre, Marivaux travailla surtout pour la Comédie-Italienne, qui venait d’être rétablie en 1716. Il s’y trouvait plus libre qu’à la Comédie-Française, plus indépendant des règles et des exemples. Là, il pouvait faire recevoir des pièces qui ne ressemblaient à rien ; et là, le public, venu seulement pour se divertir, se laissait charmer par d’irrégulières inventions qu’il n’eût pas supportées sur la scène de la comédie classique. Ce fut donc aux Italiens que Marivaux donna ses délicates comédies d’analyse, et toute sorte de pièces philosophiques, allégoriques, mythologiques.

Déjà les mêmes comédiens avaient joué quelques ouvrages ingénieusement paradoxaux, où les préjugés et les institutions de la société étaient l’objet de piquantes satires [1]. Marivaux porta dans ce genre la fantaisie originale de son esprit : il attaqua les financiers dans son Triomphe de Plutus (1728) ; il établit son Ile des Esclaves (1725) sur l’idée de l’égalité de tous les hommes ; et dans sa Nouvelle Colonie (1729) il montra les femmes liguées pour l’affranchissement de leur sexe. La comédie semble chargée de familiariser l’esprit public avec les hardiesses de la critique rationnelle, en attendant que s’engage sérieusement la grande mêlée des idées

    Marivaux, Paris, 1825-30, 10 vol. in-8. — À consulter : E. Gossot, Marivaux moraliste, in-12, Paris, 1881 ; G. Larroumet, Marivaux, sa vie et ses œuvres, Paris, 1882, in-8 (2e éd., 1893, in-12) ; F. Brunetière, Études critiques, 2e et 3e séries ; Époq. du th. fr., 10e conf. ; J. Lemaître, Impressions de théâtre, 2e et 4e séries.

  1. Delisle, Arlequin sauvage et Timon le Misanthrope (1722).