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les tempéraments et les idées.

avocat ; ce sont des Pensées sur le gouvernement : c’est le roman de Micromégas. Avec l’irréligion domine le souci des réformes administratives. Mais tout cela est négligeable, au prix de deux grandes œuvres, que Voltaire acheva en Prusse, et qui sont les expressions éclatantes de sa philosophie à cette date : je veux parler du Siècle de Louis XIV (1751) et de l’Abrégé de l’Histoire Universelle (1753).


5. VOLTAIRE HISTORIEN PHILOSOPHE.


L’Histoire de Charles XII, que Voltaire publie en 1731, ne procède d’aucune pensé philosophique [1]. Bien au contraire, l’intérêt de l’auteur s’est éveillé sur son héros d’une façon assez frivole ; la singularité des aventures, le cliquetis des batailles, l’énormité des desseins, le romanesque d’une vie tapageuse et stérile, voilà ce qui a séduit Voltaire dans l’histoire de Charles XII. En revanche, l’ouvrage a été solidement préparé, à l’aide des documents originaux. Voltaire débrouille lestement les faits, et nous donne un récit qui court, léger et lumineux, rejetant le détail oiseux, et dégageant les actions caractéristiques. C’est la première histoire (qui ne soit qu’histoire) qui compte dans notre littérature : pour la première fois, l’érudition et l’art, la méthode et le style concourent, et nous sortons enfin des compilations sans valeur, des romans sans autorité, et des dissertations doctement illisibles.

Les mêmes qualités se retrouveront dans le Siècle de Louis XIV. Voltaire a utilisé toutes ses relations pour acquérir une ample et exacte information. Il avait vu les dernières années du grand roi ; sa vie accidentée le mit à même de consulter nombre de personnes qui avaient touché aux affaires, hanté la cour, ou que leurs pères avaient instruits de toute sorte de détails originaux et authentiques. Il me suffira d’énumérer les d’Argenson, Richelieu, les Châteauneuf, Vendôme, La Fare, Caumartin, l’abbé Servien, la duchesse du Maine, Villeroi, Villars, le marquis de Fénelon, des parents de Fouquet, de Mme de Maintenon, Bolingbroke, la duchesse de Marlborough, lord Peterborough : ces noms suffisent pour Faire apprécier la valeur de l’information orale que Voltaire sut se procurer. Il eut entre les mains les mémoires encore manuscrits de Torcy et de Villars, ceux de Dangeau et de Saint-Simon : le maréchal de Noailles lui communiqua les mémoires de Louis XIV. Il lut deux cents volumes de mémoires imprimés. Enfin sa charge

  1. Mais il aboulit à une conclusion philosophique que Voltaire n’avait sans doute pas prévue a priori : Charles XII, ce héros de Plutarque et de Quinte Curce, a laissé la Suéde ruinée rayée du nombre des grandes puissances. Voilà ce que rapportent aux nations les rois guerriers (11e éd.).