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la jeunesse de voltaire.

se trouvent dans les querelles du protestantisme, du jansénisme, du quiétisme ; ainsi s’amène la conclusion enveloppée dans le dernier chapitre, et pourtant bien claire, si l’on veut y réfléchir un instant : Voltaire y conte comment un sage empereur expulsa de Chine les missionnaires chrétiens, colporteurs de sottises mensongères et fauteurs de funestes séditions. Culte de la raison, haine de la religion, voilà le sens essentiel du Siècle de Louis XIV.

Ainsi établi dans sa forme définitive, il n’eut pas de peine à prendre place en 1756 dans l’Essai sur l’Histoire générale, et sur les mœurs et l’esprit des nations depuis Charlemagne jusqu’à nos jours. Après avoir achevé son Siècle de Louis XIV, Voltaire avait repris ses esquisses d’histoire universelle, et poussé vigoureusement son travail pendant l’année 1752. En 1753 et 1754 parurent les trois volumes de l’Abrégé de l’Histoire universelle. J’en ai dit le caractère ; et l’on voit quel en sera le vice rédhibitoire : il est impossible de se faire l’historien du moyen âge, si l’on est de parti pris, par une détermination rationnelle, l’irréconciliable ennemi du christianisme. La sympathie pour les hommes dont il fait l’histoire lui fait défaut : il les raille dans leurs erreurs, dans leurs sottises, dans leurs misères. Il ne voit pas leur effort vers la vérité, vers le bien ; il ne les comprend pas, parce qu’ils sont autres que lui. À cet égard, par l’impossibilité de sortir de soi et de son siècle, Voltaire n’a pas le sens historique [1].

Il faut pourtant rendre justice à cet essai d’Histoire universelle. Une vive curiosité y éclate à chaque page. Voltaire pousse des pointes en tout sens, reconnaît des régions inexplorées : sur l’Arabie, sur l’Inde, sur la Chine, il apporte des études bien incomplètes encore, mais singulièrement neuves pour le temps. Il traite son sujet avec la même largeur que dans le Siècle de Louis XIV ; il note les grandes découvertes qui vont révolutionner la civilisation plus volontiers que les batailles et les mariages des princes. Il essaie réellement de faire l’histoire générale de l’esprit humain.

Comme toujours aussi, il travaille sur les documents originaux, ou du moins sur les meilleurs ouvrages qui les ont utilisés, il s’en-

  1. Ce jugement est beaucoup trop dur, et inexact dans son expression absolue. Voltaire a vu le moyen âge comme le voyaient les hommes du xviie siècle et du xviiie : il n’a pas jugé l’âge féodal et les croisades autrement que le pieux abbé Fleury. C’était donc moins son irréligion que sa culture et son rationalisme qui l’indisposaient contre ces temps-là. D’autre part, un érudit impartial. M. Luchaire, tout récemment ne les a pas vus plus en beau. Enfin on pourrait citer bien des endroits où Voltaire s’est efforcé d’être juste aux papes et aux moines : il a, en dix lignes, indiqué tous les services qu’ont rendus les couvents à la société du moyen âge. — En consultant le petit volume que j’ai donné sur Voltaire, on verra quelles nuances je croirais aujourd’hui juste et vrai d’atténuer ou d’ajouter dans ce tableau de la jeunesse de l’écrivain, comme dans celui de sa vieillesse qu’on trouve plus loin (11e éd.).