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l’éloquence politique.

la philosophie du xviiie siècle, se retrouve chez nos orateurs : ils les écartent de leurs discours, ils construisent a priori, posent des principes et tirent des conséquences ; le solide soutien des faits manque à leurs vastes compositions.

Si bien que, littérairement, notre éloquence politique manque son entrée : elle revêt précisément les formes qui vont mourir. Elle s’embarrasse à ses débuts des traditions qui peuvent le plus la gêner. Plus simple, plus naturelle, elle aurait été plus près du véritable art, elle eût plus facilement rencontré les formes qui ne passent pas. Elle se fût aussi plus facilement détachée de l’histoire : telle qu’elle est, elle a besoin d’être encadrée dans les circonstances, rapportée aux actions et aux intérêts qui lui ont donné lieu. Par là seulement elle redevient vivante. Réduite par le goût du temps à tendre vers la noblesse et l’élégance, elle est moins expressive que la réalité brute, qu’elle enveloppe de verbiage et délaye dans le lieu commun. En un mot, elle n’est pas du tout l’équivalent littéraire des caractères et des faits de la Révolution.

On comprendra donc que nous nous contentions d’esquisser rapidement les physionomies des principaux orateurs qui se distinguèrent du commun : à la Constituante, Mirabeau et Barnave ; à la Législative et à la Convention, Vergniaud ; à la Convention, Danton et Robespierre. Aux Cinq-Cents, nous n’aurions à nommer que deux débutants. Royer-Collard et Camille Jordan, que le 18 Brumaire mit brutalement en disponibilité, et qui se retrouveront quinze ans plus tard parmi les orateurs de la Restauration[1].


2. MIRABEAU.


Le comte de Mirabeau[2] sortait d’une forte et fière race. Ces Riquetti, transplantés de Florence en France au xiiie siècle,

  1. À consulter : A. Chabrier, les Orateurs politiques de la France, Paris, 1888 ; F. A. Aulard, les Orateurs de l’Assemblée Constituante, 1882 ; les Orateurs de la Législative et de la Convention, 2 vol. 1885.
  2. Biographie : Mirabeau (1749-1791) fut mis par son père chez l’abbé Choquard qui tenait une pension pour les enfants indisciplinés ; sous-lieutenant à Saintes, il est emprisonné à l’île de Ré par lettre de cachet pour dettes et intrigues amoureuses ; de là envoyé en Corse, puis marié en Provence (1772), interdit pour dettes, incarcéré au château d’If pour voies de fait sur un gentilhomme qui a insulté sa sœur et ne veut pas se battre ; d’If, on le transfère au fort de Joux, d’où il s’évade, et fuit avec Mme de Monnier. On les arrête en Hollande, et Mirabeau est enfermé à Vincennes (1777-1780). Député du Tiers en 1789, il devient président de l’Assemblée en 1791.

    Éditions : Lettres originales écrites du Donjon de Vincennes, Paris, 1792, 4 vol. in-8 ; Corr. de Mirabeau avec Cerutti. 1790. in-8 ; Lettres de Mirabeau à un de ses