Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/948

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
926
l’époque romantique.

grandes vérités chrétiennes par la philosophie, il recherchait, avec une sincérité profonde et une réelle force de pensée, le problème de la destinée humaine, ou posait les principes du droit naturel et de l’esthétique. C’était une autre éloquence que celle de Cousin, mais c’était encore de l’éloquence.

M. Villemain [1], lauréat académique, suppléant de Guizot, passa de la chaire d’histoire dans celle d’éloquence française. Malgré les malignes allusions qu’il ne se refusait pas, il était surtout professeur de littérature : son cours n’était pas comme celui de Guizot une profession de doctrine libérale, comme celui de Cousin un jaillissement de passion politique. Et ce fut lui peut-être qui réalisa pour les contemporains l’idéal de l’orateur universitaire : il avait la parole vivante et brillante, la phrase ample et facile, relevée de traits fins ou spirituels. Il déroulait de vastes tableaux qui captivaient l’imagination, historien plutôt que critique, et plus large que profond. Il avait renouvelé l’étude de la littérature selon l’esprit de Mme de Staël ; il développait le principe, que la littérature est l’expression de la société, et il avait choisi les deux cas les plus favorables peut-être qu’il y ait à la démonstration de ce principe : il faisait l’histoire de la littérature du xviiie siècle, et l’histoire de la littérature du moyen âge. En ceci encore il s’inspirait de Mme de Staël, lorsque, se détournant des œuvres classiques de goût antique et païen, il étudiait les œuvres romantiques du moyen âge chrétien. Il se plaisait à rapprocher les littératures des nations européennes, à faire ressortir les différences que la diversité des circonstances historiques et des institutions sociales avait mises entre elles, à suivre les actions et réactions d’un pays sur l’autre : il faisait une grande place à l’Angleterre dans son étude de notre xviiie siècle, et pour le moyen âge il suivait le développement parallèle de la littérature en France, en Italie, en Espagne, en Angleterre. Il était nécessairement un peu superficiel, et prenait un peu extérieurement les œuvres ; il avait cependant beaucoup de lectures et de connaissances, plus d’idées que son expression trop peu serrée n’en montre : c’était enfin un orateur littéraire, très agréable et suffisamment solide, qu’on peut encore aujourd’hui écouter avec profit.

  1. Biographie : Abel-François Villemain (1790-1870) fut couronné pour ses éloges de Montaigne et de Montesquieu (1812 et 1816). Appelé en 1816 à la chaire d’éloquence française, il fut sous Louis-Philippe député, pair de France, deux fois ministre de l’instruction publique (1839-40, 1840-44). En 1832, il devint secrétaire perpétuel de l’Académie française, dont il était depuis 1821.

    Éditions : Cours de littérature française (Tableau de la litt. fr. au xviiie s.), 4 vol. in-8 ; (Tableau de la litt. au moyen âge), 2 vol. in-8. 1828. Tableau de l’éloquence chrétienne au ive s., 1849, in-8 ; Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique, 1859, in-8. Souvenirs contemporains, 2 vol. in-8, 1862.