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polémistes et orateurs.

Dupanloup,[1] plus tard évêque d’Orléans, véhément et diffus, de plus d’éclat que de portée ; le P. Hyacinthe, orateur souvent emphatique, qui n’ayant pas pu rester catholique, n’a su être ni protestant, ni philosophe, douloureusement suspendu entre toutes les doctrines, et déchiré entre les jugements de sa raison et les exigences de son cœur : d’autres encore, élégants par leurs ou rhéteurs romantiques, politiques cléricaux, ou démocrates chrétiens, ou orthodoxes sans date et sans couleur, adversaires ou exploiteurs de la science, gens de beaucoup d’esprit parfois, de forte conviction toujours, d’idées souvent peu profondes ou mal assises.

Je m’arrêterais de préférence au P. Didon [2], dominicain, qui a donné d’éclatants exemples de hardiesse oratoire et de foi soumise. C’est un beau prédicateur, grave, pressant, solidement instruit, et qui a l’intelligence de son temps. Sa parole claire, nerveuse, chaude, s’adapte finement à l’état des consciences contemporaines ; comme Lacordaire, le P. Didon cherche à faire apparaître dans le catholicisme le remède aux misères sociales, la réponse aux incertitudes morales de l’heure actuelle : de tous les prédicateurs qui veulent faire de la religion une chose vivante, efficace, pratique, il n’y en a pas qui soit mieux informé, plus habile et plus fort. Plus audacieusement, suivant le mouvement qui, dans la seconde moitié du siècle, poussait à introduire les procédés de la science dans tous les ordres de la pensée, ce moine a voulu employer les méthodes de l’exégèse contemporaine à démontrer la vérité de la religion ; il a essayé de refaire, dans un esprit opposé, pour une conclusion contraire, l’œuvre de Renan, une Vie de Jésus. La tentative a été plus intéressante qu’heureuse : une certaine faiblesse de pensée s’y découvre, et plus de prétention à la science que de rigueur scientifique. Mais l’affaire du P. Didon, ce n’est pas le livre : c’est le discours, l’action directe et personnelle sur les âmes.

  1. Le P. de Ravignan (1795-1858), avocat, puis jésuite. Conférences, 1849, 4 vol. in-8. — Félix Dupanloup (1802-1878), supérieur du petit séminaire de Paris, prof, d’éloquence sacrée à la Sorbonne, év. d’Orléans en 1849 ; après 1871, député et sénateur. Gallican ardent, il se soumit pourtant après le concile de 1869. Œuvres choisie, 4 vol., 1861 ; Nouvelles Œuvres choisies, 7 vol., 1873-5 ; Lettres choisies, 1888. — Le P. Hyacinthe Loyson (né en 1827), prêtre, puis carme, débuta à Paris en 1864, fut très attaqué par Veuillot, rompit en 1869 avec l’ordre des carmes, puis avec le pape, qui l’excommunia : il prétendit rester catholique malgré tout. L’occasion de la rupture, très honorable pour lui, fut une déclaration libérale et philosophique dans une séance de la Ligue internationale de la paix (juin 1869) : il mettait le judaïsme, le catholicisme et le protestantisme sur le même pied, comme « les trois grandes religions des peuples civilisés ». Il n’a pas eu le génie qu’il aurait fallu pour le rôle qu’il prenait : noble esprit d’ailleurs et belle âme.
  2. Né en 1840. L’Homme selon la science et la foi, 1875 ; la Science sans Dieu, 1878 ; Vie de Jésus-Christ, 2 vol. in-8, 1890 ; la Divinité de Jésus-Christ, 1894.