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le mouvement romantique.

1826, où il fait une sortie contre les limites des genres, revendique e nom de romantique, attaque l’imitation, et, demandant à l’art d’être avant tout inspiration, pose la formule de la liberté dans l’art[1].

En même temps, il publiait ses ballades, pour donner une idée de la poésie des troubadours, ces rapsodes chrétiens qui savaient manier l’épée et la guitare[2]. Il dépouillait les formes classiques de l’ode ; il essayait des rythmes plus simples, plus souples, plus personnels ; il cherchait des combinaisons fantaisistes, où éclatait sa prodigieuse invention rythmique ou verbale. Enfin, il se faisait lui, le tard-venu, il se faisait du droit du génie le cher du mouvement romantique par la Préface de Cromwell (1827).

Avec un grand fracas de formules hautaines, et de métaphores ambitieuses, à travers de prodigieuses ignorances et des audaces inouïes d’affirmation arbitraire, faisant défiler magnifiquement tous les âges, et se grisant de la couleur ou du son des noms propres, Hugo posait l’antithèse du beau et du laid, du sublime et du grotesque ; et, en les opposant, il les unissait dans l’art. Cela revenait à mettre la beauté dans le caractère, comme avait indiqué déjà Diderot. Il se réclamait de l’Arioste, de Cervantes et de Rabelais, ces « trois Homère bouffons », et surtout de Shakespeare. Il établissait que « tout ce qui est dans la nature est dans l’art » : ainsi le romantisme devenait un retour à la vérité, à la vie. Il démolissait les lois du goût, les règles des genres, leur division surtout et leur convention, tout ce qui s’opposait à la libre et complète représentation de la nature, saisie eu ce que chaque être possède de caractéristique, beau ou laid, il n’importe. Mais dans ce bouleversement de toutes les traditions, Hugo maintenait la nécessité d’une interprétation artistique, d’un choix, d’une concentration, de certaines conventions enfin, qui sont les moyens de l’art, et sans lesquelles l’art ne saurait subsister.

Ces restrictions font honneur à son jugement : tout le monde ne les faisait pas alors ; et, avec cette frénésie qui scandalisait ou effrayait les classiques, un journaliste converti de la veille donnait en deux phrases le credo romantique :

« Vivent les Anglais et les Allemands ! Vive la nature brute et sauvage qui revit si bien dans les vers de M. de Vigny, Jules Lefèvre, V. Hugo ![3] »

  1. Hugo ne dit pas, comme les autres, la liberté de l’art, mais la liberté dans l’art, c’est-à-dire la liberté et l’art, être libre, à condition de respecter l’art : comme il dit la liberté dans l’ordre, pour l’union de la liberté et de l’ordre, son idéal politique à cette époque.
  2. Préface de 1826.
  3. L. Thiessé, Mercure du xixe siècle, 1826 (cité par Dorison, cf. p. 953, n. 1). — J. Lefevre-Deuinier (1797-1857) se plaça aux côtés de Vigny et de Hugo par le recueil