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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/966

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l’époque romantique.

on s’en est servi pour des effets larges, mais précis, d’une puissance singulière. Rien ne permet mieux de mesurer le chemin parcouru.

Les romantiques s’arrêtèrent au vocabulaire : ils l’élargirent, réintégrèrent tous les éléments populaires et techniques que le goût classique avait exclus[1]. Ils groupèrent ces éléments avec les anciens sans nul souci des traditions et des bienséances qui liaient autrefois l’imagination : leurs images furent insolites, hardies, déconcertantes. Mais ils respectèrent la syntaxe : sans purisme, ils eurent soin d’être corrects. Ils déposèrent leurs sensations dans les mêmes phrases, qui avaient contenu les idées des classiques : ils dressèrent exactement comme leurs devanciers l’appareil des conjonctions et des relatifs, des propositions subordonnées et coordonnées ; ils composèrent selon les règles les groupes des sujets, des verbes et des régimes. V. Hugo se contentera longtemps de multiplier les épithètes et les appositions : à la fin seulement, dans les œuvres de la période postérieure à 1850, la notation impressionniste, sans phrase faite, par juxtaposition de mots expressifs, se rencontrera chez lui ; et ce sera par exception[2].

Parallèlement à la restauration de la beauté formelle de la langue se poursuit celle de la versification.[3] À travers la grande variété de rythmes que les romantiques innovent ou restaurent, on aperçoit que leurs préférences vont à l’octosyllabe et à l’alexandrin : l’alexandrin, tantôt continu, tantôt assemblé en quatrains ou sizains, tantôt alternant avec le vers de six ou de huit ; ou bien quatre alexandrins suivis d’un vers de huit ; ou cinq alexandrins suivis d’un vers de six ; ou deux alexandrins, un vers de six ou de huit, deux alexandrins encore suivis d’un vers de six ou de huit, ces six vers formant une stance[4], etc. ; l’octosyllabe, tantôt disposé en quatrains, sizains, dizains ou douzains, tantôt mêlé selon diverses lois au vers de quatre[5]. Mais en ce genre, la caractéristique du premier âge romantique, que conservera V. Hugo dans presque toute son œuvre, c’est, me semble-t-il, la préférence donnée à l’harmonie sur la symétrie.

Les romantiques d’arrière-saison et les parnassiens sont revenus

  1. Ils ont tenté de faire revivre quelques archaïsmes. Th. Gautier s’applique à dire navrer pour blesser.
  2. Cf. Art d’être grand-père (Fenêtres ouvertes. Le matin en dormant).
  3. À consulter : W. Tenint, la Prosodie de l’École moderne, 1844. Becq de Fouquières, Traité de versification française, 1879, in-8. G. Pellissier, Essais de litt. contemporaine, 1893, (p. 117-157). Faguet, xixe siècle (V. Hugo, p. 237-55). M. Grammont, le Vers français, 1904. On se reportera pour les exemples que les limites de cet ouvrage ne me permettent pas de donner.
  4. Formules (le nombre des syllabes étant représenté par les chiffres) 12, 6, 12, 6. — 12, 8, 12, 8. — 12, 12, 12, 12, 8. — 12, 12, 12, 12, 12, 6. — 12, 12, 6, 12, 12, 6, etc.
  5. Formules : 8, 8, 4, 8, 8, 4. — 8, 4, 8, 4, 8, 4. — Pour le vers de 6 syll. : 6, 4, 6, 4 et des quatrains ou sizains. — Pour les vers de 7, des sizains, et des huitains et la forme : 7, 3, 7, 7, 3, 7 (l’Avril de Belleau).