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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/998

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l’époque romantique.

mouchoir et l’oreiller, et Yago (24 oct. 1829). Puis ce fut la grande journée du 25 février 1830, la bataille d’Hernani : la censure laissant passer la pièce pour faire exécuter le romantisme par le public, tant elle estimait impossible le succès d’une telle extravagance ! les acteurs nourris de classique, défiants, hostiles, Mlle Mars ne consentant pas à nommer Firmin son lion superbe et généreux ; les défenseurs de l’art nouveau recrutés dans les écoles et les ateliers, Théophile Gautier, superbe, truculent, chevelu, arborant le légendaire pourpoint rouge pour la terreur des bourgeois ; la représentation houleuse, terminée en triomphe de V. Hugo et déroute des perruques : tous les incidents de cette journée épique sont depuis longtemps connus[1]. Pendant une quinzaine d’années (1829-1843) le romantisme est maître de la scène : trois hommes l’y ont établi et l’y soutiennent : Dumas, Vigny, Hugo.

On sait quel intarissable conteur fut Alexandre Dumas[2] : quelle prodigieuse et un peu puérile invention s’est développée dans les 257 volumes de ses romans, mémoires, voyages, etc. Toute cette écriture, si vulgaire de pensée et de forme, a bien vieilli. Les 25 volumes de pièces de théâtre qui s’y ajoutent, ont vieilli aussi : c’est pourtant par eux que Dumas mérite une place dans la littérature. Le cadre dramatique a contenu son imagination, ailleurs portée à multiplier la copie : elle a obligé ce grand délayeur à faire (relativement) court, serré, nerveux.

Il a préludé à ces fameux romans historiques qui devaient surtout rendre son nom populaire, par des drames historiques. Sans dédaigner les sujets exotiques, Dumas fut le premier à deviner l’attrait que pouvait avoir l’histoire de France pour le public, et le premier se mit à exploiter les vastes recueils de chroniques et de mémoires que Guizot, Buchon, Petitot venaient de publier. Il trouvait dans Anquetil le sujet de son Henri III : mais le Journal de l’Estoile lui fournissait la copieuse enluminure du sujet. C’était une orgie de couleur locale ; chaque mot était un renseignement d’histoire : état des partis, état des finances, intérêts des princes, passions des bourgeois, topographie du vieux Paris, astrologie, nécromancie, jurons, bilboquets, sarbacanes, sabliers, pourpoints tailladés, les quatre sous que l’on payait au spectacle des Gelosi,

  1. À consulter : Th. Gautier, Histoire du Romantisme. A. Royer, Histoire du théâtre contemporain, 2 vol. in-8 ; Paris, 1878.
  2. A. Dumas (1803-1870), né à Villers-Cotterêts, fils d’un général de la Révolution, petit-fils d’un créole et d’une négresse : Henri III, 1829. Christine, 1830. Antony, 3 mai 1831. Charles VII chez ses grands vassaux, Richard Darlington, 1831. La Tour de Nesle (avec Gaillardet), 1832. Kean, 1836. Mlle de Belle-Isle, 1839. Romans : le Comte de Monte Cristo, 1841-1845, 12 vol. ; les Trois Mousquetaires, 1844, 8 vol. ; la Reine Margot, 1845, 6 vol. — Édition : Calmann Lévy, in-12. À consulter : H. Parigot, Le drame d’Al. Dumas, 1898.