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le théâtre romantique.

l’imagination éblouie de l’auteur ». On arrive ainsi à l’étrange formule de la Préface de Marie Tudor : « tout regardé à la fois sous toutes ses faces[1] ». Le drame romantique aspire à embrasser l’infini. Aussi lui faut-il d’autres proportions que celles de la tragédie classique : il débute par Cromwell, qui est injouable ; et lorsqu’il se resserre selon les nécessités de la représentation, il a encore en général une durée presque double de celle des tragédies.

Avec le démesuré, l’incohérence : histoire et philosophie se gênent ; ou l’individu périt, ou le symbole s’obscurcit. L’un des éléments fait obstacle à l’autre, si le poète n’intervient sans cesse pour dégager le sens du spectacle : et l’on a ainsi un poème épico-lyrique plutôt que dramatique.

En somme, nous apercevons dans la théorie du drame romantique un double caractère : 1° les barrières des genres dramatiques sont retirées ; tragédie, comédie, drame, tout se mêle ; 2° les barrières qui séparent le genre dramatique des autres genres, sont abattues aussi ; et l’épique, le lyrique, l’histoire, le symbole envahissent le théâtre. Une vaste synthèse fait entrer toutes les formes littéraires les unes dans les autres, synthèse si vaste, qu’elle est en effet plutôt une confusion générale, un retour à la primitive indétermination.

En sorte que, dès les premiers essais qu’ils feront, les romantiques en arriveront tout simplement à organiser le drame chacun selon son tempérament et son génie. Dans ce chaos où tout se mêle, où rien n’est fixé, chacun choisira la matière et la forme qui lui plairont. De la pièce romantique qui, étant tout, n’est rien, l’un tirera le mélodrame, un autre la tragédie, un autre la comédie larmoyante ; l’un trouvera le drame philosophique, un autre le spectacle historique. Tous les genres reparaîtront, en vertu de leur essentielle distinction, plus ou moins déformés ou masqués. Dès 1830, et dans le seul V. Hugo, les espèces diverses se caractérisent : Marie Tudor ou Lucrèce Borgia sont des mélodrames ; Hernani et Marion de Lorme ont des ossatures de tragédies ; et les Burgraves sont un poème dialogué de Légende des siècles.


2. LES AUTEURS : DUMAS, HUGO, VIGNY, MUSSET.


Quelques mois après Henri III et sa cour, la Comédie-Française donna le More de Venise d’Alfred de Vigny : c’était l’Othello de Shakespeare, fidèlement rendu, sans voile et sans fard, avec le

  1. V. Hugo, Œuvres, éd. définitive Hetzel et Quantin, Drame, t. III, p. 435. Lire toute la page, qui finit ainsi : « Ce serait le rire, ce serait les larmes ; ce serait le bien, le mal, le haut, le bas, la fatalité, la Providence, le génie, le hasard, la société, le monde, la nature, la vie ; et au-dessus de tout cela on sentirait planer quelque chose de grand ! »