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Page:Laperche - Ile inconnue.djvu/226

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210 l’Ile inconnue.

de bas peuple, de vagabonds et de parias. Toutes ces créatures humaines, de classes diverses, semblaient pressées les unes contre les autres ; en réalité, elles étaient séparées par de telles distances que, pour les franchir, il eût fallu plusieurs générations. Elles n’avaient pas l’air de fusionner. Cependant, je me suis vite aperçue qu’elles s’impressionnaient mutuellement. Il y avait là des regards, des fantaisies, des cœurs qui s’accrochaient, des destinées aussi sans doute. L’amour, la haine, l’envie, la jalousie, l’ambition, la vanité, une multitude de sentiments devaient s’extérioriser et activer la vie collective et individuelle. J’ai senti l’invisible travail. Il m’a rappelé celui qui se fait dans les cuves de vendange où sont jetées grappes saines, grappes touchées, grappes pourries, ce travail dont le bruit fascinait mon oreille d’enfant. Je me suis souvenue des nuées d’insectes mordorés qui bourdonnaient au-dessus des vastes récipients et, machinalement, j’ai regardé en l’air comme pour découvrir les agents des réactions humaines. En France, dans les villes de province, il y a bien la promenade dominicale avant ou après vêpres ; mais elle n’offre rien d’aussi précis, d’aussi caractéristique. Et ces parades se répètent dans toute l’étendue de l’Empire britannique aux Indes, en Australie, en Afrique. Assurément, c’est la race qui veut cela.

 En quittant Hyde Park, je me suis rendue chez 

madame Winthrop, à South Kensington, par des rues silencieuses et désertes qui avaient une vraie atmosphère de sabbat. J’aime Londres ainsi. Dans cette atmosphère qui le spiritualise, il me donne l'im-