Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/123

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L'alimentation végétale est la condition du besoin du sel (chlorure de sodium), car on observe régulièrement la concomitance des deux faits. Un grand nombre d'animaux herbivores soit domestiques, soit sauvages, recherchent avidement le sel; on n'a jamais rien observé de pareil pour aucun carnivore. Parmi les hommes, les populations agricoles, c'est-à-dire celles dont la nourriture est surtout empruntée aux végétaux, consomment du sel. Lorsque les conditions géographiques font que ce minéral est rare dans une région habitée par des agriculteurs, ceux-ci considèrent le sel comme extrêmement précieux et le recherchent avec une avidité frappante. Au contraire, les peuples chasseurs et pasteurs ne consomment pas de sel, même quand ils vivent dans le voisinage de la mer, des sources salées ou d'efflorescences salines. Or, si l'on compare la composition minérale d'un régime carnivore, d'une part, et d'un régime végétal de l'autre, on voit que la différence caractéristique porte, non pas sur l'absence de sels de sodium dans le régime végétal, mais sur un grand excès de sels de potassium dans ce régime. Bunge admet, en vertu d'un raisonnement précis, que le passage de ces sels de potasse à travers l'organisme tend à dépouiller celui-ci de son chlorure de sodium. C'est à couvrir cette perte qu'est destinée l'ingestion volontaire du sel marin.

Dans cette théorie il y a deux points distincts:

  • 1) Le régime végétal est la cause du besoin de sel, ou du moins coexiste toujours avec l'appétit pour ce condiment. Ce point parait acquis. Pour ce qui regarde l'homme en particulier, l'enquête ethnographique à laquelle s'est livré Bunge est très démonstrative; et les faits nouveaux la confirment. C'est ainsi que j'ai pu, dans le voyage de la Sémiramis, noter celui-ci, dans une région sur laquelle Bunge avouait manquer de renseignements, l'Insulinde. A Florès, les indigènes essentiellement agricoles ont, malgré l'état peu avancé de leur industrie en général, constitué une méthode assez perfectionnée pour l'extraction du sel marin. Pendant la saison sèche de chaque année, les villages envoient au bord de la mer un petit groupe de femmes qui vient y camper sous les palétuviers pour se livrer à la préparation du sel. La boue noire que les racines des palétuviers maintiennent au niveau des hautes marées, se sature de sel au point que sa surface est blanchie par les efflorescences. Cette boue saline sert à préparer par lixiviation une solution à peu près saturée qui est ensuite dans une bassine porté à l'ébullition jusqu'à ce que le sel commence à cristalliser à chaud; la bouillie cristalline est alors versée sur un filtre grossier de feuilles de latanier tressées; les cristaux sont retenus, les eaux-mères s'écoulent à travers le filtre, et, s'évaporant encore à l'air libre, déposent une sorte de stalactite à la pointe du filtre. Le sel ainsi obtenu est tout à fait blanc, et parait du chlorure de sodium aussi pur que notre meilleur sel de cuisine.
  • 2) Le second point serait l'explication physiologique du premier; le