Page:Lapicque - Notice sur les titres et les travaux scientifiques, 1908.djvu/124

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besoin de sel est causé par l'ingestion excessive de sels de potassium; il répond à un déficit en chlorure de potassium; je pensai trouver un contrôle de cette théorie dans le fait suivant. Les explorateurs de la région du Congo nous ont fait connaître que les indigènes remplacent le sel marin par un sel extrait des cendres de certaines plantes. Cette contrée est dépourvue des gisements naturels de sel, et, en fait jusqu'à une époque récente, était privée de communications avec la mer; les nègres qui l'habitent sont agriculteurs; il est intéressant de constater qu'ils se sont ingéniés à se procurer malgré tout un sel de cuisine. Mais ce sel est-il du chlorure de sodium, ou tout au moins un mélange de sels où le métal dominant soit le sodium? Les végétaux sont généralement riches en potassium, mais il y a quelques exceptions. Si les nègres africains avaient su trouver de ces plantes exceptionnelles pour les incinérer et en tirer un sel sodique, la théorie de Bunge se trouvait confirmée d'une façon éclatante. Je m'efforçai d'obtenir des renseignements sur ce point; j'en cherchai inutilement en Abyssinie, quand j'y passai en 1892; enfin, en 1895, mon ami le Docteur Herr, à qui j'avais, lors de son départ, signalé la question, me rapporta d'une exploration sur la Sangha un échantillon de sel de cendres.

Pour préparer ce sel, les nègres prennent systématiquement certaines espèces de plantes aquatiques, notamment une aroïdée flottante, "Pistia Stratiotes", qui serait même cultivée dans ce but. Ces plantes sont récoltées, séchées, incinérées; les cendres sont placées dans un panier conique formant filtre, épuisées par de l'eau; la solution est concentrée par ébullition dans un vase de terre où on la laisse cristalliser par refroidissement.

Ce sel de cendres est essentiellement potassique, à telle enseigne que, placé dans la flamme d'un bec Bunsen, il donne une coloration violette (or, 1 p. de NaCl mélangé à 20 p. de KCl donne déjà une flamme nettement jaune). J'indiquai cette constatation comme inconciliable avec la théorie de Bunge (51 et 52). Bunge, en soulevant d'ailleurs des doutes discrets sur la valeur de mon analyse, répondit qu'il s'agissait là d'une aberration de l'instinct, sans signification physiologique. Je lui envoyai un échantillon de mon sel; il vérifia que ce sel contenait 200 de potassium pour 1 de sodium. Bientôt Léon Fredericq confirmait, en l'étendant, le fait signalé par moi, et déclarait se rallier entièrement à mon opinion, et quelques années plus tard, Abderhalden donnait une nouvelle observation du même genre.