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Page:Laplace - Œuvres complètes, Gauthier-Villars, 1878, tome 14.djvu/185

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rendre plus salubre le sol qu’il habite et à diminuer le nombre et les dangers des maladies. C’est ce qu’il a fait à l’égard de la petite vérole, l’un des fléaux les plus destructeurs de l’espèce humaine. Daniel Bernoulli a trouvé, par une application ingénieuse du Calcul des probabilités, que l’inoculation augmente sensiblement la vie moyenne, en supposant même qu’il pérît un inoculé sur deux cents ; il n’est donc pas douteux qu’elle soit avantageuse à l’État. Mais celui qui veut se faire inoculer doit comparer le danger très petit, mais prochain, d’en mourir au danger beaucoup plus grand, mais plus éloigné, de mourir de la petite vérole naturelle ; et, quoique la considération de la proximité du danger soit nulle pour l’État, qui n’envisage que la masse des citoyens, elle ne l’est pas pour les individus. Cependant, l’inoculation bien conduite fait périr un si petit nombre de personnes, et les ravages de la petite vérole naturelle sont si considérables, que l’intérêt particulier se joint à celui de l’État pour adopter cette méthode. Le père de famille, dont l’attachement pour ses enfants croit avec eux, ne doit point balancer à les soumettre à une opération qui les délivre de l’inquiétude et des dangers d’une aussi cruelle maladie, et qui lui assure le fruit de ses soins et de leur éducation. Je n’hésite donc point à conseiller la pratique salutaire de l’inoculation et à la regarder comme l’un des résultats les plus avantageux que la Médecine ait tirés de l’expérience[1].

On a fondé, sur les Tables de mortalité, divers établissements, tels que les rentes viagères et les tontines ; mais les plus utiles de ces établissements sont ceux dans lesquels, au moyen d’un léger sacrifice de son revenu, on assure l’existence de sa famille pour un temps où l’on doit craindre de ne pouvoir plus suffire à ses besoins. Autant le jeu est immoral, autant ces établissements sont avantageux aux mœurs en favorisant les plus deux penchants de la nature. D’ailleurs, des

  1. Depuis la première publication de ses leçons, toutes les craintes de l’inoculation que la petite vérole laissait encore ont été dissipées par l’inestimable découverte de la vaccine, dont on est redevable à Jenner, qui, par là, s’est rendu l’un des plus grands bienfaiteurs de l’espèce humaine.