Page:Lapointe - Une voix d’en bas - Échos de la rue, 1886.djvu/142

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J’aime, pardonnez-moi ; vos femmes rondelettes
Et sans morgue, partant, sans nul souci d’aigrettes.
Je les aime surtout lorsque, dans le chemin,
Courant au mendiant, que le plaisir repousse,
Elles laissent tomber une parole douce
Et le sou du bon Dieu dans quelque pauvre main.

Serruriers, forgerons, maçons, tailleurs de pierre,
L’artisan du chantier, celui de la carrière,
Sous de verts acacias que les vents font trembler,
Au repas fraternel accourent s’attabler,
Pour charmer les ennuis d’une rude semaine,
Où du septième jour le repos les amène.
La table est de sapin, sans doute, mais dessus
Brille un morceau de veau qui baigne dans le jus ;
Mais à l’extrémité de ces planches grossières
Figure un large plat de rouges parmentières,
Et Jeannette, l’Hébé du bruyant cabaret,
Apportant broc sur broc d’un petit vin clairet
Par elle baptisé sans dispense du pape,
Sait leur faire oublier l’absence de la nappe ;
Car fraîche et réjouie, elle répond mieux qu’eux
Aux ris entrecoupés de propos graveleux.

Vous, heureux, qui bâillez dans vos palais de marbre,
Le cœur vide où s’efface un rêve d’amitié,
Vos plaisirs, faux rubis, inspirent la pitié
De ces bons compagnons attablés sous un arbre.
Leur appétit gaillard mange tout et sans choix.
Ce dîner, gras pour eux, pour vous serait bien maigre ;
Mais l’amitié, qui fuit la demeure des rois,
Là s’attarde et sourit, prés d’un pot de vin aigre.
i) Voir la note à la fin du volume,