Page:Lapointe - Une voix d’en bas - Échos de la rue, 1886.djvu/146

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Par nous victorieuse, ingrate bourgeoisie,
Aux Barabbas des cours tu verses l’ambroisie ;
Et mes frères, tombés à l’ombre de la croix,
Boivent encor le fiel que but le roi des rois.
Dans ta boue ont germe les deniers déicides
Que les grands d’autrefois comptèrent à Judas.
Pour des vendeurs de Christs tu les ranges en tas,
Et ton cœur ne bat plus sous tes mamelles vides !
Au lieu de secourir, dans leurs mornes chenils,
Ces pauvres parias qu’insultent tes Gentils,
Tu les laisses hurler, s’arracher les entrailles,
Et s’entre-déchirer autour de tes murailles.
Capitale homicide, aux yeux étincelants,
Tu te dresses les nuits, cette ceinture aux flancs !

Frères, relevez-vous ! sur vos membres glacés
Percevez les rayons de mes strophes funèbres...
Je voudrais dissiper les épaisses ténèbres
Où dans l’accablement vous vous engourdissez !

Tout n’est pas mort en vous ; votre âme sous la cendre
Sanglote, et veut revoir ses amours d’autrefois.
Dans le triste sépulcre où mon vers va descendre,
Je l’entends tressaillir au seul bruit de ma voix.

De votre sang, j’en suis ; vos douleurs je les souffre.
Mais quand le désespoir, messager de l’enfer,
Vient pour me déchirer sous ses griffes de fer,
Il s’asphyxie aux plis de ma blouse de soufre.

Le désespoir jamais n’enfanta rien de grand ;
Il ne sait qu’embraser les réchauds du suicide,
Et couver pour la mort, sous une aile livide,
Les fantômes fiévreux de l’abrutissement.