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égouts, échouer sur les bancs de la cour d’assises, n’y en a-t-il pas une moitié qui sortent de certains livres naturalistes, comme les vers de la charogne ? Comparez, d’aussi haut que tombe le vice, d’aussi bas que monte le crime ; non seulement le coupable de la justice n’est pas pis que le héros du roman, mais souvent celui-ci est plus taré que celui-là. Pourqui donc l’un est-il puni et l’autre non ? Le premier est-il frappé par la loi parce qu’il est une victime du romancier, et le romancier est-il toléré parce qu’il fait des milliers de coupables ? Ce sont des contradictions étranges, je le veux bien, mais ce sont des contradictions, pour ainsi dire, forcées et fatales ; la loi atteint le fait brutal, l’acte matériel, bien qu’il soit presque toujours individuel, mais il épargne le fait intellectuel, l’acte littéraire qui névrose l’intelligence et tuberculose la morale. En résumé, l’écrivain est comme le général, ils ont tous deux les immunités de la loi et les bénéfices de la renommée, et la qualité de leur gloire tient à la quantité du mal qu’ils ont fait : l’homme qui tue vingt mille hommes est un héros ; celui qui n’en tue qu’un est un assassin ; l’écrivain qui séduit cent mille filles, est un auteur illustre ; son lecteur qui abuse d’une, déjà séduite par le roman, est un criminel. Étrange morale légale !

Ces réflexions, plus qu’étrangères à mes études littéraires, me sont suggérées par un