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Page:Laporte - Émile Zola, 1894.djvu/302

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lui ouvre ses pages les plus émoustillantes. Le garde même qui défend l’entrée du tribunal, où l’on juge la victime inconsciente du livre immoral, non seulement le laisse lire, sans protester, à côté de lui, mais il y jette un coup d’œil curieux : on condamne l’effet et on laisse la cause impunie. L’effet, qui se nomme dans le naturalisme, le document humain, avait, sans nul doute, des passions, mais elles étaient à l’état latent, elles dormaient, elles se taisaient du moins ; il a suffi d’une ligne pour les réveiller, d’une page pour les exciter et d’un chapitre pour les lancer dans l’action criminelle. Oui, tel était innocent, hier, n’ayant pas lu, qui, demain, sera coupable, après avoir lu : le livre est la mèche enflammée qui communique à un dépôt de dynamite.

Si, descendant dans la conscience et dans les souvenirs des accusés, les juges leur demandaient quel fait, quelle circonstance, quel exemple, quelle lecture, quel entraînement les a poussés à la faute ou au crime, combien peut-être répondraient : cette feuille, ce livre, ce journal, cette peinture ! Coupables, certes, devant la loi, ils auraient néanmoins le droit d’accuser impitoyablement ceux qui auraient provoqué leur culpabilité. Parmi ces crimes, ces vices, ces passions, ces infamies, ces monstruosités parfois invraisemblables, qui viennent, comme ces épaves pourries que charrient les fleuves et les