Page:Laporte - Émile Zola, 1894.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces portes lui manquait ; il se retourna vers le commerce. M. Labot, son infatigable protecteur, lui fit obtenir, en 1860, aux Docks, rue de la Douane, un emploi de 60 francs par mois, qu’il abandonna, au reste, au bout de deux mois, n’en pouvant vivre. De cette époque, avril 1860 à janvier 1862, où M. Boudet, membre de l’Académie de médecine, parvint à le faire accepter au paquetage dans la librairie Hachette, il vécut, Dieu sait comme, de courses, d’études littéraires et surtout de faim. Oui, je le sais, bien que cela paraisse paradoxal, l’on vit de faim, jusqu’à ce qu’on en meure ou qu’on en sorte, fort et invincible, trempé comme l’acier. Il a connu alors, ce qu’il y a de plus désespérant dans la vie, le travail impuissant et la faim inexorable ; il faudrait un peu de pain pour vivre, une main généreuse pour vous le donner et un cœur ami pour encourager votre travail ; mais rarement, pour ne pas dire jamais, se présentent cette main et ce cœur. Zola, qui a subi énergiquement cette initiation du talent et ce baptême du succès, la lutte à outrance et la misère, se souvient-il, aujourd’hui, au milieu de son luxe, de ses angoisses et de ses désespoirs d’autrefois ? A-t-il purifié l’orgueil de ses succès actuels par ses générosités et ses largesses aux pauvres et aux malheureux ? Celui, qui riche, oublie ses anciens frères en pauvreté n’est digne ni de la fortune, ni de ses succès, ni de son talent,