Tu peux voiler un jour la cime où tu reposes,
Mais ce trône en mon âme est fondé pour jamais.
Nul ne l’ébranlera par force ou par adresse ;
Et la fange où le sort m’a contraint de marcher
Ne rejaillira pas, ô ma blanche déesse,
Jusqu’à la neige vierge et ton lit de rocher.
Ta sereine hauteur domine leurs injures ;
C’est là que j’ai placé mon rêve et nos amours ;
Et du fond de leurs nuits, dans ces sphères plus pures,
Mes regards et mon cœur te chercheront toujours.
Pour voler jusqu’à vous si je n’ai pas des ailes,
Je veux monter du moins, ô sommets adorés,
Aussi loin que l’on va, porté sur des pieds frêles ;
Je veux aller mourir sur un de vos degrés.
Si bas qu’il soit encor, heureux qui vous contemple,
Et, pour marcher à vous, sort des sentiers battus ;
C’est beaucoup d’avoir pris le chemin de ce temple ;
Nos aspirations font toutes nos vertus.
Quand j’aborde, à vos flancs, les vertes solitudes,
Quand j’ai goûté l’air vif et le pain du berger,
J’oublie, au fond des bois, toutes mes lassitudes,
Et, plus haut j’ai gravi, plus je m’y sens léger.
Cime du monde alpestre et cime de mon âme,
Je m’élance vers toi qui touches l’infini !
Tes pieds plongent en vain dans notre monde infâme,
Sur ton front l’idéal ne sera pas terni.
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