Page:Laprade - Œuvres poétiques, Les Symphonies, 1878.djvu/192

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Chez toi, je ne viens pas pour glaner quelque feuille
De ces douteux lauriers tressés d’un doigt moqueur ;
Plus saine, ô cher pays ! et plus douce à mon cœur,
Dieu me fait la moisson qu’en tes champs je recueille.

Sur la bruyère en fleur, sous les pins odorants,
J’y respire à longs traits l’air pur et la lumière ;
Dans l’enclos séculaire, autour des bancs de pierre,
J’y vais interroger l’ombre des vieux parents.

C’est là qu’ils ont vécu comme je voudrais vivre,
Laborieux et fiers, obscurs, mais sans remords,
Traçant devant leurs fils le sillon qu’il faut suivre,
Et marchant, le front calme, à d’héroïques morts.

Si, chez toi, loin du siècle et des modernes fanges,
Je vivais de repos, d’ombre et de souvenir.
Mon livre, sous ce chêne où je viens rajeunir,
Serait digne de l’œil des enfants et des anges.

Jamais je n’ai subi les orages du cœur
Sous ces rameaux sacrés dont j’aspirais la sève ;
Dans nos sentiers amis quand je retourne en rêve,
Je n’y revois passer que ma mère et ma sœur.

Ignore, ô cher pays ! mes vers et mon nom même ;
Mais donne-moi ma part de soleil et d’air pur.
Où l’on se sent heureux, il est doux d’être obscur :
Garde-moi seulement le cœur de ceux que j’aime.

Si pourtant de l’oubli mon œuvre se défend,
S’il s’attache à mon nom quelque gloire modeste,