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PERNETTE.


Elle savait mêler à son histoire en pleurs
Tout ce qui m’enivrait, les bois, les cieux, les fleurs.
Tous ces ardents récits, faits en pleine lumière,
Me semblaient attestés par la nature entière…
J’ai changé vainement de maître et d’horizon,
J’en reviens à Pernette, elle a toujours raison.

Aussi bien que les fils elle enseignait les pères :
Vantant la douce paix et ses travaux prospères,
De pieux souvenirs le trône environné
Et la loi succédant au caprice effréné.
Quand les longs soirs d’hiver peuplaient la chaude étable,
Quand veillaient ses voisins assis contre sa table,
Aux discours de la vierge, éplorés et ravis,
Tous, même les vieillards, jugeaient sur ses avis ;
Tant la sagesse, ornant son austère veuvage,
Imprimait de respect et d’orgueil au village.

Quand, groupés vers la crèche ou devant le brasier
Ils découpaient l’érable ou qu’ils tressaient l’osier,
Que chaque outil luisait nettoyé de sa rouille,
Que l’agile fuseau tournait sous la quenouille,
Les récits commençaient, sombres, légers, touchants ;
Les plus graves leçons s’entremêlaient de chants ;
Et, comme aux anciens jours, l’auditoire immobile
Écoutait ardemment la rustique sibylle.

Mais ses récits toujours s’achevaient par des pleurs,
Car tous la ramenaient à ses propres douleurs :
Et les voisins émus ne se séparaient guères
Sans maudire le temps de ces horribles guerres,
Et ce fléau de Dieu dont l’exécrable orgueil !