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PERNETTE.

Et les vieillards émus échangeaient un sourire.

Il reprit :
            « De nos jours les vieux sont indulgents :
On attend, on prévient messieurs les jeunes gens !
Soyons, puisqu’il le faut, des parents à la mode.
D’ici la vue est belle et ce banc est commode ;
Il est bon de s’asseoir sous l’ombrage léger ;
Respirons à l’odeur des foins et du verger.
Je crains pour vous, après ces heures enflammées,
La soudaine fraîcheur des salles bien fermées.
Reposons-nous avant que le dîner soit prêt,
Et jugeons en conseil mon petit vin clairet. »

On s’assit : les propos joyeux, parfois sévères,
Se croisaient sur la table où l’on choquait les verres.

Or, sans mot dire, et toute à son fils adoré,
La mère regardait, là-bas, au bout du pré.

Le couple radieux s’isolait dans sa joie,
Marchait avec lenteur, sans suivre aucune voie,
Sans rien voir que lui-même, ayant pour horizon
Deux ombres à ses pieds et des brins de gazon ;
Sans parler, ou disant quelque parole brève
Qu’un serrement de main, qu’un long regard achève.
Les mots n’expriment pas ce qu’ils avaient au cœur :
Le vase retenait sa divine liqueur,
Et parfois une perle ou le soleil se joue
Tremblait au bord des cils sans rouler sur la joue.

A fixer ces transports dans l’âme ou dans les sens,