Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
PERNETTE.

Servir de ses labeurs l’autorité du père.

Pernette achevait l’œuvre et ne tarissait pas ;
Agneaux, poussins, chevreaux pullulaient sous ses pas ;
Le laitage et les œufs remplissaient les corbeilles ;
L’or coulait à longs flots du logis des abeilles ;
D’espaliers abondants les murs étaient couverts ;
Mille fruits bien gardés égayaient les hivers ;
Le fin linge odorant s’empilait dans l’armoire ;
Les nappes au grand jour brillaient comme la moire ;
Et, pour ces soins divers, on s’inspirait en tout
De la mère de Pierre, et l’on suivait son goût.

C’est ainsi qu’attestant leur ardeur mutuelle
Ils adoptaient, tous deux, leur famille nouvelle,
C’est ainsi qu’entourés, dans l’arrière-saison,
Les vieux parents sont rois d’une heureuse maison.

Tandis qu’ils échangeaient si saintement leurs rêves,
Oublieux du retour et des heures trop brèves,
Ils virent tout à coup, là-haut, sous les tilleuls,
Le groupe vénérable… On n’attendait qu’eux seuls.
Tous deux rouges, confus de ce long tête-à-tête,
Honteux de leur lenteur aux apprêts de la fête,
À travers champs et prés, par le plus droit chemin,
Ils partirent d’un bond, se lâchant de la main.
Et ce fut — ô bonheur de la verte jeunesse ! —
Une lutte joyeuse, un assaut de vitesse :
Entre les hauts épis, courbés légèrement,
On les voyait glisser dans l’or du blond froment :
Les rubans dénoués, les plis des longues manches,
Sur les jaunes moissons semblaient des ailes blanches ;