Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
279
EN PROVENCE.

Voyez-vous des lueurs qu’un désir accompagne
Dans la nuit de vos sens passer comme un éclair ?

Vous sentez-vous ainsi plus proches sœurs des hommes ?
À ces vieux nourrissons gardez-vous quelque amour ?
Rêvez-vous comme nous, orgueilleux que nous sommes,
D’un rang plus haut dans l’être et d’un meilleur séjour ?

Depuis ces milliers d’ans que le fils de la femme
Boit à votre mamelle et dort à vos côtés,
N’avez-vous pas reçu, nourrices des cités,
Pour prix de votre lait, quelque part de notre âme ?

Où manquent les taureaux manque le pur froment,
Où tarit votre lait les nations tarissent…
Qu’à ces doux serviteurs le maître soit clément ;
Qu’à la voix du berger les troupeaux obéissent.

Votre race à la nôtre a frayé son chemin.
Habitant nos maisons, nos tentes, nos cavernes,
Du vieil Himalaya jusqu’à ces monts Arvernes,
Vous avez pas à pas guidé le genre humain.

Autour de ces volcans qui s’éteignaient à peine,
Les vaches et le pâtre ont dormi dès ce jour ;
Et, s’ouvrant tout entière aux œuvres du labour,
La sainte Gaule a vu grandir la race humaine.

Mais l’homme et le troupeau restent plus vigoureux,
Nourris sur l’âpre sol de ces monts basaltiques ;
Tout vient s’y rajeunir, et des enfants nombreux
Portent au loin le sang des vieux taureaux celtiques.