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Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/34

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PERNETTE.


Et je n’ai pas de goût pour les habits dorés.
Certes, j’aime autant qu’eux, et plus qu’eux tous, peut-être,
La terre des aïeux, les champs qui m’ont vu naître,
Le clocher qui sonna mon baptême, et qui doit
Sonner mon mariage, ainsi que c’est mon droit.
Qu’on ose y faire injure aux hommes de ma race,
Vienne des étrangers m’y disputer ma place !
On verra s’il me faut tout un vain attirail,
Ma hache et mon fusil feront un fier travail.
Je suis prêt ! Mais avant, pourquoi briser mon âme ?
Pourquoi n’aurais-je pas ma Pernette pour femme ?
Tous ces héros qu’on vante et tous ces triomphants
N’avaient-ils derrière eux d’épouses ni d’enfants ?
Pour quel devoir, pour qui veut-on que je sois brave ?
Pour ce chef inconnu qui me traite en esclave.
Défendrai-je donc moins ce sol, ces murs sacrés,
Quand ils me garderont plus d’êtres adorés ;
Et si je laisse, autour de l’âtre héréditaire,
Des fils à mes aïeux et des bras à ma terre ?
Pourquoi m’armer, verser mon sang, donner mes biens,
Mourir, sinon pour ceux que j’aime et qui sont miens ?
Avant tout, que Pernette ait mon serment suprême,
Que je suive la loi de mon cœur, de Dieu même,
Que je sois libre !… Et puis je deviens, s’il le faut,
Soldat, et mon vieux sang prouvera ce qu’il vaut. »

On se tut un moment devant cette colère ;
Et toujours éclataient les sanglots de la mère.

Alors le vieux docteur, chéri dans la maison
Pour sa gaieté sereine et sa verte raison,
Redouté des trembleurs pour sa franchise rude,