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LE SOLDAT DE L’AN II.


S’exprima hardiment selon son habitude,
Comme nul ne l’osait sous ce joug rigoureux :

« Tu parles comme au temps des Romains ou des preux,
En fils de la nature, en guerrier d’un autre âge,
Croyant que le soldat se mesure au courage,
Qu’il marche en liberté, père, époux, citoyen,
Pour défendre les lois, sa famille et son bien.
Dans la main d’un César, et dans l’ère où nous sommes,
Les soldats ne sont plus des citoyens, des hommes :
Rangé sous le drapeau de ce fatal vainqueur,
On n’est qu’un bras sans âme, on abdique son cœur.
Moi, je t’offre un moyen d’éviter cette honte :
C’est de faire au César la guerre pour ton compte
Et de braver tout seul, à l’abri de nos bois,
Ce bandit couronné qui fait trembler les rois.
Ils appellent cela déserteur, réfractaire ;
Propos de chambellan !… Toi, fais ce qu’il faut faire
Pour rester homme libre et pour t’appartenir ;
Et va dans la montagne attendre l’avenir. »

Or, toujours sans mot dire et de pleurs inondée,
La mère sanglotait sur le lit accoudée.

De ses deux forts poignets, croisés sur son bâton,
Jacques le laboureur appuyant son menton,
Écoutait avec calme, en père, en homme sage,
Riche, et dont les avis comptaient dans le village.
Rien sur son front n’avait trahi son sentiment,
Lorsqu’on vit le vieillard se lever lentement ;
Il étendit la main, et, la tête dressée,
Comme le bon docteur, dit toute sa pensée :