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PERNETTE.


Une flamme brillait sur son front empourpré.
Et dans les traits si doux, si francs de ce visage,
Une sainte colère imprimait son passage.
N’étant pas de ces cœurs au sourire banal
Dont la bonté n’est rien qu’indifférence au mal,
Ardent, généreux, pur d’ambitions humaines,
Un vif amour faisait en lui les vives haines.
Mais quand sa voix tonnait, grondant comme l’airain,
De sa haute raison l’azur restait serein.
Donc, il reprit :

« J’ai vu dans son club, dans son bouge,

J’ai vu ce sénateur coiffé du bonnet rouge,
Effréné, dénonçant les lenteurs du couteau
À frapper sur le noble et les gens à château,
Sur ceux enfin dont lui, le citoyen Antoine,
Avait hier mangé le pain et bu l’avoine.
Car — on peut en juger à ses belles façons —
Il débuta valet de fort grandes maisons ;
De là, tribun poussé par son ardeur civique,
L’Empire le reçut chaud de la République.
Nul mieux que ce laquais, ancien tueur de rois,
Ne sait l’art d’être esclave et tyran à la fois ;
De ses anciens métiers il garde quelque chose,
Il est le même au fond, servant une autre cause,
Insolent et servile… aussi, point de pitié !
Cet homme à deux tranchants ne fait rien à moitié.
S’il nous fallait fléchir chez quelque vieux stoïque
L’orgueil républicain ou la foi monarchique,
Même un homme tout neuf dressé par le pouvoir,
Que nul passé ne gêne et strict à son devoir,
Qui n’a jamais hurlé de phrases libérales