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LES RÉFRACTAIRES.


Vers le bourg, me dit-on, marchent en très grand nombre.
Comment feront, là-haut, pour éviter leurs coups,
Tous ces pauvres enfants, traqués comme des loups ?

— Pour ces chères brebis sans guide et sans apôtre,
Mon cœur s’effraye un peu, mais bien moins que le vôtre,
Cher curé, — répondit le médecin des bois,
Dans le péril toujours clairvoyant et narquois : —
J’ai ma nouvelle aussi, plus sûre et moins notoire.
César va, je le sais, de victoire en victoire ;
C’est affiché !… Pourtant je crois qu’il a besoin
De porter ses soldats loin de chez nous, fort loin ;
Et nos vieilles forêts, riant de vos alarmes,
Sont faites à narguer longtemps les bons gendarmes.
Mais il faut qu’un avis parte, et sans plus tarder
Enjoigne à nos enfants, là-haut, de se garder.
J’y vais par le plus court ; garnissant mes sacoches…
Ma Grise a le pied sûr, et bondit sur les roches,
Et vole infatigable à travers vaux et monts,
Quand je pique des deux vers ceux que nous aimons.
 
Mais le pasteur, plus sage, avec un fin sourire
Répondit :

« Toute armure a son défaut ; j’admire

Un général expert, à ce point endormi
De se croire invisible aux yeux de l’ennemi !
S’il est quelqu’un, chez nous, qu’on guette et qu’on soupçonne,
C’est l’homme au franc parler, vous, docteur, en personne.
Entrer ici le soir, et remonter après
Vers les bois, c’est trahir nos gens et vos secrets ;
Il faut pour ce message, où l’on risque sa vie,