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PIERRE ET PERNETTE.


Ils partirent légers, sans larmes, pleins d’espoir ;
Comme s’ils étaient sûrs, demain, de se revoir,
Comme s’ils avaient là, près de cette fontaine,
Leur pain de chaque jour et leur table certaine,
Comme s’ils avaient vu, sous ces arbres heureux,
Un autel nuptial déjà dressé pour eux.

Jusqu’aux chemins frayés, bornes de son empire,
Pierre s’aventura, heureux de la conduire ;
Il dépassa les champs perdus le long des bois
Où le seigle aux genêts succède quelquefois ;
Puis, l’ornière des chars lui marqua les limites
Des douces régions au proscrit interdites.

Ils laissaient le soleil et les monts derrière eux.
L’astre, à demi couché, jetait ses derniers feux ;
L’ombre des voyageurs, oscillant sur le chaume,
S’allongeait à leurs pieds comme un vague fantôme.
Pernette, l’ayant vu, s’arrêta brusquement,
Tressaillit et serra le bras de son amant.
Pierre sentit au cœur quelque chose de sombre,
Mais sourit, et lui dit : « As-tu peur de ton ombre ? »
Et, la baisant au front, ajouta « C’est le lieu
Où sera le revoir que nous promet l’adieu. »

L’adieu se fit, profond, muet, dans une étreinte.
Sous les fleurs de ce jour avait dormi la crainte ;
Mais chez la douce enfant elle éclatait soudain,
Dès qu’ils eurent franchi le seuil de leur Eden.
Les périls oubliés, les ennemis sans nombre
Se dressaient à ses yeux épouvantés d’une ombre.