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PERNETTE.


Moi, plutôt que de voir, au foyer qui s’indigne,
Pernette leur verser le vin de notre vigne,
Et ces chefs lui sourire, et ma mère, humblement,
Pétrir pour leur festin le beurre et le froment,
J’irais seul assaillir l’odieuse cohorte,
Du logis profané je briserais la porte,
Et, la torche à la main, de ces maîtres impurs
Par le fer et le feu j’affranchirais nos murs.
Si vous sentez au cœur quelque chose qui vibre,
Une haine, un amour, le besoin d’être libre,
Si nous voulons prouver qu’à l’abri de nos bois,
Lorsque nous avons fui, bravant d’injustes lois,
Fiers entre tous, bien loin que le cœur nous défaille,
Nous avons craint d’exil et non pas la bataille,
Rentrons dans nos hameaux, les armes à la main ;
Envers et contre tous frayons-nous un chemin,
Et chassons l’étranger qui prétend faire grâce
En nous laissant chez nous reprendre notre place. »

Maints avis commençaient de jaillir à la fois ;
D’un geste le vieillard contint ces jeunes voix ;
Il dit :

« Sachons mêler clairvoyance et courage,

Et regardons, amis, plus loin que le village.
C’est là-bas que se forme, en de noirs horizons,
L’essaim d’envahisseurs qui remplit nos maisons :
Avant notre humble bourg ils ont soumis la ville.
Qu’on écrase un frelon, il en reviendra mille,
Ardents à nous punir de ce coup généreux
Que la grande cité n’osa tenter contre eux. »
Alors le jeune chef :