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PERNETTE.


Épuisant notre sève en ses longues fureurs,
Le Corse nous a pris nos derniers laboureurs.
Quels bras armerez-vous du fer de nos charrues,
Contre ces légions incessamment accrues ?
Quand tu soulèverais, des fermes aux châteaux,
Tout ce qui peut brandir la massue ou la faux ;
Quand les rochers, contre eux, jailliraient de la terre,
Opposant vainement ta fronde à leur tonnerre,
Tu n’entamerais pas l’airain de leurs canons…
Vous seriez brisés tous, sans que l’on sût vos noms. »

Le jeune homme éclata, s’écriant : « Que m’importe
Si, ma cause étant juste, une autre est la plus forte !
Je vais mon droit chemin, je ne veux rien prévoir.
Mon âme, en moi, me dit que je fais mon devoir.
Qui sait ? un coup frappé par une main hardie
Peut des plus vils cailloux tirer un incendie.
Peut-être un feu sacré, dans le sol endormi,
Doit, en s’y réveillant, dévorer l’ennemi !
Si j’ai su l’allumer, qu’importe que j’en meure !
Un affront a souillé ma race et ma demeure ;
Tout mon cœur a frémi de voir sur notre seuil
Un hideux étranger debout dans son orgueil.
Je ne souffrirai pas, moi vivant, que l’on dise
Que j’ai laissé servir ma mère et ma promise,
Qu’un maître ou qu’un rival m’a causé de l’effroi,
Et qu’un soldat stupide a commandé chez moi.
Aux armes ! que l’issue en soit heureuse ou triste,
Mon cœur parle trop haut pour que je lui résiste,
Il m’ordonne d’agir et d’aller où je vais…
Sentez-vous comme moi, faites comme je fais ! »