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L’INVASION.


Le vigilant honneur l’a répété cent fois.
Nul n’accepte ce joug, ne veut, plus que moi-même,
Voir sa ville et sa mère et la vierge qu’il aime
Servir docilement le barbare odieux,
Et s’allumer pour lui le foyer des aïeux.
Non ! La cité, les champs, ces bois dont j’ai le culte,
Du pas de l’étranger rejetteront l’insulte.
Le sol tremble ! Et, plutôt que souffrir cet affront,
Les monts d’où je descends sur nous s’écrouleront.

— Amis, dit le docteur à la franche figure,
Gai convive, toujours, et favorable augure,
Pas de si noir présage, assez de grands combats !
Tout va plus simplement aux choses d’ici-bas.
Moi, j’en lève la main, sans me croire prophète,
La paix entre les rois, la paix est déjà faite.
J’ai comme vous l’horreur du soldat étranger ;
Mais nos coups de fusil n’y peuvent rien changer.
Qu’un paysan de plus se révolte et qu’il meure,
Nos destins, malgré nous, sont réglés à cette heure.
Donc, plus de ces terreurs et de ces fiers courroux !
Nos vaincus, j’en suis sûr, ne songent plus à nous,
Et tout le régiment, replié sur la ville,
Les chefs étant d’accord, y va dormir tranquille.
Faisons comme eux ! Et puis, de la même façon,
Célébrons les exploits de ce vaillant garçon
Qui rentre, aimé de tous, dans son pays en fête,
Et par droit de naissance et par droit de conquête.
Puis, comme tout roman, dès lors qu’il finit bien,
Se clôt par un hymen où l’on n’épargne rien,
Prodiguant les lauriers, les myrtes en trophée,
Marions dès ce soir le prince avec la fée. »