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III




Le plaisir tombe en toi comme un fleuve à la mer,
Sans te remplir, ô cœur ! il y devient amer.
Les plus fortes amours meurent dans l’habitude ;
Rien chez l’homme ne dure, hormis l’inquiétude,
Le désir éternel de l’idéal caché,
Et l’antique vautour à nos flancs attaché.

Quel bonheur plus d’un jour est resté sans mélange ?
Cependant, ô plaisir, ce n’est pas toi qui change.
Près de l’homme enivré, le vin à flots pareils
Coule des mêmes ceps entre tes doigts vermeils ;
Du vase offert par toi l’écume est aussi douce
Qu’on y trempe sa lèvre ou bien qu’on le repousse.
Quand l’odorat lassé refuse leurs senteurs,
C’est le même parfum qui monte à nous des fleurs.
Quand l’air trop répété de la chanson qu’on aime
Amène au bout l’ennui, la musique est la même :
Le dégoût à l’extase a trop tôt succédé,
Et tout trésor est vil dès qu’on l’a possédé !

Rien de l’heureux vallon n’a troublé les délices ;
La rosée aussi pure y blanchit les calices,