Page:Laprade - Les Symphonies - Idylles héroïques, Lévy, 1862.djvu/115

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LE POÈTE


Toi, tu ne connais pas la volupté des larmes !
Ces pleurs de la nature en sont pour moi les charmes ;
Vous l’aimez pour les fruits que vous lui dérobez,
Avides laboureurs sur la moisson courbés !
Moi, conduit aux déserts par la haine du monde,
J’y goûte leur douleur en sagesse féconde.


LE PÂTRE


J’aime le champ natal et non pas les déserts.
J’ai là, dans ce vallon, j’ai des trésors bien chers :
Mes souvenirs d’enfant et le toit de mes pères,
Mon vieux clocher, ma vigne et mes vergers prospères.
J’habite en paix leur ombre, et jamais je n’appris
Des hommes nos pareils la haine et le mépris.
Ami de ces forêts, frère des vieux érables,
J’aime nos bois sacrés bien moins que mes semblables,
Et quoique sur ces monts, tout l’été, sans ennuis,
le sache vivre seul bien des jours, bien des nuits,
C’est un bonheur plus grand, dès qu’arrive l’automne,
De rentrer dans le bourg que le pampre festonne.
Là, par mes compagnons, dans leur franche gaîté,
Du pâtre et du troupeau le retour est fêté ;
La table fume, et l’âtre est tout rouge de braise,
Et, le verre à la main, tous les soirs, à notre aise,