Page:Laprade - Psyché, 1857.djvu/220

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Mêle dans le creuset, pour ton œuvre hardie,
Le réel au possible ; imagine, étudie.
Vois les taureaux bondir ; vois danser sur les prés
Les filles aux doux yeux ; dans les couchants dorés,
Vois saillir des grands monts les arêtes chenues,
Et la pourpre échancrer le noir profil des nues.
Vois l’aube nuancer la mer de mille tons ;
Le lotus découper ses fleurs hors des boutons,
Les nids s’entrelacer sur le chêne difforme ;
Vois comment le grand tout se sculpte et se transforme.
Mêle, quand tu pétris l’argile entre tes mairie,
Des gouttes d’eau du ciel à quelques pleurs humains.
Prends un peu de ton âme, un peu de la nature,
Aux baisers du soleil expose la figure ;
Dès que luira son front doré par leur reflet,
Ébauché dans ton cœur, le dieu sera complet !

Éros, le dieu vermeil que la mort décolore,
Expire sur les fleurs qu’il vient de faire éclore.
Pose, ô cœur de seize ans, tes baisers sur son front,
Mais sans larme : à leur dieu les roses survivront.
Va ! les tendres soucis, les langueurs, les ivresses,
La volupté des pleurs, l’âcreté des caresses,
Ces flèches de son arc, ces feux de ses autels,
Ces mille maux si doux, enfant, sont immortels !
L’homme peut voir crouler ses temples d’âge en âge,
Les débris de ses lois s’amasser par étage,
Ses soleils s’éclipser ou brûler tour à tour,
Vivre sans rois, sans dieux, mais jamais sans amour !

Garde ton âme ouverte aux saintes voix du monde ;
Poëte, écoute encor les vents, les bois et l’onde !
La main qui de leurs nids chasse les vieux démons
Va toucher le clavier des vagues et des monts,