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sucreries, une autre de pâtisserie et deux grands compotiers de confiture des colonies.

— Ah ! je te reconnais bien là, s’écria Guérin, fille de créole, vilaine gourmande, mes dix francs ont passé tout entiers dans le dessert… et c’est cela que tu appelles un dîner !

— Ne gronde pas, fit Jeanne, tu auras ton plat favori. Zézelle est en train de le surveiller à la cuisine. Est-ce qu’on t’oublie ?

Zézelle est une abréviation usitée à la Guadeloupe, et qui veut dire Mademoiselle. Jeanne appelait ainsi une vieille fille de quarante à quarante-cinq ans, sa meilleure amie, ou pour mieux dire, sa seule amie. Mademoiselle Zoé Lacassade, tel était son vrai nom, avait été intimement liée avec Mme Guérin, et lorsque celle-ci vint à mourir et que le capitaine résolut de se fixer en Europe, Zoé déclara qu’elle le suivrait, qu’elle n’abandonnerait pas sa petite Jeanne, sa filleule, son adorée, son enfant d’adoption. Cette résolution était d’autant plus méritoire que Mlle Lacassade n’avait aucune espèce de fortune et qu’en outre elle redoutait par-dessus tout un voyage en mer. Cependant, malgré ses craintes, malgré sa pauvreté, elle fit voile pour la France et parvint à y vivre sans trop de privations, grâce à une industrie qu’elle créa, consistant à procurer aux familles créoles résidant à Paris et qui la connaissaient, des denrées coloniales.

C’était une toute petite femme, au cheveux bouclés, d’un noir de jais. Malgré la beauté de ses yeux et de ses dents, personne n’avait songé à la trouver jolie, mais tous ceux qui la connaissaient l’aimaient pour son dévouement à toute épreuve, son cœur excellent, et ne songeaient à rire ni de sa taille exiguë, ni de sa pétulance, ni de son exagération de gestes et de paroles, ni d’une foule de petits ridicules enfouis sous de grandes qualités.

On s’était mis à table ; le capitaine en face de sa