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L’ASSOCIÉE SILENCIEUSE

…la jeune fille…

— Oh oui ! la jeune fille… celle qui sera plus tard la mère de tes enfants… « Celui qui prend une femme vertueuse, dit l’Ecclésiastique, a le principe de sa fortune ; une aide semblable à lui et un appui pour se reposer. » Mais encore, cette femme suivant le cœur de Dieu, comment la discerner au milieu de tant d’autres ? Il faut prier, mon cher enfant. « Une maison, des richesses, dit le Sage, sont un héritage paternel ; mais une femme intelligente et vertueuse est un don de Jéhovah ». Souviens-toi du conseil que je vous donnais jadis : « Quand le moment sera venu de vous choisir une épouse, exigez de celle qui sera l’élue de vos cœurs la réplique des douces et aimable qualités de femme chrétienne qui vous ont tant fait chérir votre mère terrestre et aussi le reflet des vertus surnaturelles de Marie, votre mère du ciel. » Ce même conseil, je te le donne encore aujourd’hui je ne saurais en trouver de meilleur. Celle que tu as choisie répond-elle à cette description ?

— Elle est en tout digne de mon amour.

— Et tu l’aimes beaucoup ?

— Si vous saviez, mon Père, comme elle est jolie !

— La beauté, chez la femme, n’est pas un attribut à dédaigner, « elle réjouit le visage de l’homme, dit encore l’Ecclésiastique, et elle excite au plus haut point son amour. Si la bonté et la douceur sont sur sa langue, son mari n’est plus un simple enfant des hommes, » et Saint Jean Chrysostome ajoute quelque part que la beauté en elle-même est un grand bien puisqu’elle est une nouvelle manifestation de la grandeur et de la bonté de Dieu ; mais la beauté seule est un bien fragile et périssable, ce n’est pas sur de telles fondations éphémères que l’on édifie le bonheur de sa vie. La jeune fille que tu aimes est-elle bonne chrétienne, pieuse, modeste, dévouée et pure ?…

— Elle a toutes ces qualités.

— Et qu’attends-tu donc ?

— J’ai peur…

— Je ne la connais pas, il va sans dire ?

— Vous devez la connaître. C’est Mademoiselle Alberte Dumont, une employée de papa.

— Attends donc ! Mais oui, je la connais, c’est la sœur d’Ovila, un de mes anciens patronés ! Je comprends maintenant pourquoi il me parlait de toi… C’est au mieux, alors. Mademoiselle Dumont est la perle des jeunes filles. Sa vie, toute de dévouement et d’abnégation, est un gage de bonheur pour l’avenir. Et tu hésites encore ? Je ne te comprends plus…

— C’est que,… j’ai des scrupules…

— Oui… oui ! je vois… tu n’as pas toujours été le bon petit garçon, l’enfant chaste et pieux qui fréquentait jadis mon Patronage… Au contact des laideurs de la vie, tu as faire de nombreux accrocs à ta vertu… Bah ! Jésus sur la croix, pardonna bien au bon larron, mon enfant, sa miséricordieuse bonté est infinie. Avant ton mariage, tu viendras me voir, nous liquiderons ensemble cet affreux passé, l’absolution divine que je ferai descendre en ton âme la purifiera…

— Je vous avoue, Père, que là n’étaient pas mes scrupules…

— Qu’y a-t-il de plus ?

— Mademoiselle Dumont n’est qu’une simple employée de mon père, ses études ont été plutôt rudimentaires, elle a vécu jusqu’aujourd’hui dans un milieu bien inférieur à celui où elle sera appelée à vivre avec moi demain, en un mot, nos formations, tant intellectuelles que morales et mondaines sont tellement différentes !…

— Oui ! C’est bien l’homme égoïste et orgueilleux de notre siècle factice qui parle par ta bouche, mon pauvre enfant. Nous sommes ainsi faits que nous envisageons avec terreur les obstacles les plus imaginaires et oublions les considérations qui tiennent le plus au cœur de Dieu ! Parce que tu as eu un mouvement généreux, parce que pour un instant tu as laissé parler ton cœur, tu es tenté de te ressaisir… poussé par un détestable respect humain, tu veux raisonner contre le bonheur qui s’offre à toi…

— Mais…

— Il n’y a pas de mais, il n’y a qu’un imbécile qui s’obstine à ne pas être heureux. Laisse pour un moment les bêtes conventions le superficiel, le convenu… l’acte que tu veux poser est assez sérieux pour que tu te dépouilles un instant de tes préjugés.

— Enfin…

— Demande à la femme qui sera la mère de tes enfants un cœur tendre et affectueux, une âme droite et pieuse, de véritables instincts de maternité, ce sont les seules vertus qui comptent. Tout le reste, ce n’est que de l’apparat, du clinquant, du superficiel, du postiche. Guidé par l’inspiration divine, le vieux serviteur d’Abraham qui accompagnait Isaac en Mésopotamie, chercher une femme de sa religion à son jeune maître ne s’enquit pas de Rebecca si elle était de haute lignée, si elle était instruite etc. À la jeune fille qui venait remplir sa cruche à la fontaine, il demanda simplement : « Permets que je boive un peu d’eau de ta cruche ? » et elle : « Bois, mon seigneur ; » et, nous dit la Génèse, elle s’empressa d’abaisser le cruche sur sa main et de lui donner à boire. Plus que dans une toilette somptueuse, dans un langage soigné, il avait discerné en cet acte si simple de charité, en ce charmant et spontané mouvement de bonté du cœur, un gage de félicité pour la vie entière de son jeune maître.

— Mais la différence de classe ?

— La différence de classe ? Est-ce que cela existe en aucun endroit de la terre ? Ne sommes nous pas tous les fils indignes du Divin Maître ?… Et même si par impossible et par absurde, une telle indignité pouvait se produire, si par une loi injuste les êtres issus de telle classe pouvaient n’être pas égaux à ceux issus de telle autre classe, la différence entre l’homme de telle caste qui épouserait telle femme d’une classe inférieure serait bien vite comblée. À sa première maternité, l’épouse acquiert une noblesse si grande qu’elle devient infiniment supérieure à son époux, sa dignité de mère la constitue en quelque sorte la collaboratrice du Dieu