Aller au contenu

Page:Larivière - L'associée silencieuse, 1925.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
L’ASSOCIÉE SILENCIEUSE

Les quelques objections que vous avez fait valoir, il y a un instant, sont une nouvelle preuve de votre délicatesse ; mais, encore une fois, quand il est question d’amour, ces futiles considérations sont bien vite effacées. Ainsi donc, ce soir, mon fils ira lui-même chercher la confirmation du bonheur de sa vie ».

Et maintenant, petite sœur, viens vite te mettre à table, il ne faut pas te laisser surprendre par ton futur mari, ta toilette inachevée.

— Il va falloir me mettre belle ce soir !

— Viens souper d’abord, nous songerons à la toilette ensuite.

— On est gai ici, ce soir ! Eh quoi ! on rit et l’on pleure ? demanda Ovila qui, en entrant avait surpris le reflet d’une larme sur les joues de sa sœur cadette.

— Petit frère, embrasse-moi bien fort !

— Toujours à ta disposition, ma chère Alberte, pour aussi plaisante corvée ! Mais enfin, me diras-tu le pourquoi de cette effusion ?

— Devine ?

— Tu as eu une augmentation de salaire ?

— Mieux que cela…

— À moins que nous ayons fait un héritage, ce qui est fort problématique.

— Mieux que cela encore.

— Enfin, je donne ma langue au chat !

— Alberte se marie !

Alberte ! Et avec qui ?

— Mais comme par le passé, je resterai toujours la petite sœur affectueuse et dévouée…

— Et quel est le Prince Charmant ?

— Tu ne l’as pas deviné ? Avec Monsieur Étienne…

— Vraiment ? Que je suis heureux pour toi, petite sœur. Laisse-moi te féliciter. Souviens-toi, je t’avais prédit qu’il viendrait, le Prince Charmant… et tout à fait charmant encore…

— Mettons nous vite à table, il ne faudrait pas être en retard.

Le souper fut gai et rapide. Ovila, qui n’en pouvait croire ses oreilles, posait questions sur questions. S’il s’était douté ? Il avait bien vu le fils du patron fréquenter l’humble demeure ; mais jamais il n’aurait rêvé un tel bonheur pour sa sœur… et cependant, comme elle méritait bien la félicité qui l’attendait. Il lui était très sympathique, ce joli garçon si affable, si poli, aux manières cordiales et simples ; on se trouvait tout de suite à son aise avec lui. Il est vrai que leur petite sœur allait bien leur manquer, la demeure deviendrait grande et vide à la suite du départ d’Alberte ; mais enfin, on s’en consolerait en songeant à sa souriante destinée…

À peine sortie de table, Alberte monta dans sa chambre d’où elle sortait une demi-heure plus tard, radieusement belle en sa simple toilette de fil.

Impatiente, elle vint s’asseoir au vivoir, ouvrit un livre et voulut lire ; mais son âme était trop agitée, elle ne pouvait arrêter son attention sur les passages parcourus. Elle se leva, plaça un disque sur le gramophone, une de ces partitions d’opéra qu’elle aimait tant ; mais la musique elle-même, loin de calmer sa nervosité, l’irritait. Elle n’attendit pas la fin du morceau, poussant la déclic de la machine, elle reprit son livre et vint s’asseoir. En face d’elle, le portrait de sa mère lui souriait et cet incident lui parut de bon augure. « Douce maman, dit-elle mentalement, toi qui du haut du ciel est témoin de mon bonheur, reçois-en l’hommage ! »

Le timbre retentit.

Alice était allée répondre et Alberte, le cœur palpitant, entendit une voix bien connue prononcer son nom. Puis l’élégante silhouette d’Étienne se dessina dans l’encadrement de la porte.

La jeune fille voulut se lever ; mais ses jambes se refusaient à la soutenir. D’ailleurs, Étienne était déjà à ses côtés, sa voix aimée, lui arrivait vague, imprécise, comme en un rêve, et cette voix se faisait douce et caressante, palpitante d’émotion, ardente de prière et d’amour. « N’est-ce pas, Alberte, que c’est vrai, vous voulez bien devenir ma femme » ? put-elle enfin saisir au milieu de son trouble.

Mais elle était encore incapable de prononcer une seule parole, sa douce figure était devenue moite et blanche, ses lèvres frémissantes et exsangues tremblaient d’émotion, impuissantes à articuler un seul son. Alors le jeune homme leva son regard vers ses yeux, ses beaux yeux que les larmes de joie sertissaient de diamants et qui, plus que toute vaine parole, disaient sa réponse.

Avec dévotion, Étienne prit sa main, et à son doigt effilé, il glissa l’anneau des fiançailles. Lentement, Alberte inclina la tête vers lui et sur ses lèvres palpitantes et fiévreuses, il déposa son premier baiser.


CHAPITRE XVII

LA FLAMBÉE LUMINEUSE.


Les fiançailles furent courtes. Maintenant que les deux jeunes gens s’étaient fait l’aveu de leur mutuel amour, ils avaient hâte de le voir en son plein épanouissement.

Dès la semaine suivante, Alberte quittait l’usine, ce qui intrigua au plus haut point les bonnes commères de la ville qui n’avaient pas été sans remarquer les assiduités du fils du meunier auprès de l’orpheline.

Le mariage fut fixé aux premiers jours de septembre. Étienne, heureux maintenant quoiqu’impatient de l’être plus encore, était dès la fin de la semaine retourné à Montréal où il avait repris avec un admirable entrain sa profession de journaliste.

Revenu de ses idées noires, il comprenait maintenant que dans tout état, il y a des heures pénibles à passer, que le faix du travail, que la peine quotidienne est une épreuve imposée à tout être humain et qu’il faut accomplir avec joie et résignation si nous voulons que nos efforts soient méritoires aux yeux de Dieu.

Après tout, sa profession de journaliste n’était pas aussi ingrate qu’il s’était plu à la représenter. La besogne était dure quelquefois ; mais par contre, quelle compensation ! Et puis, n’était-ce pas un tremplin