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L’IRIS BLEU

pris lui-même de son indifférence à ces projets qu’il aurait, il y avait une semaine à peine, accueillis avec tant d’enthousiasme.

Elle s’en aperçut : « Dis donc mon grand, tout cela ne semble pas t’intéresser ? Est-ce que la mort de ton vieil habitant d’oncle serait la cause de ce changement ? Tu en parlais autrefois en souriant presque comme d’un indifférent, sa perte t’aurait-elle affecté à ce point ? »

— Plus que je l’aurais jamais cru. Cet homme que je reconnais avoir méconnu durant sa vie, je l’ai trouvé tellement grand devant la mort que je me reproche de n’avoir pas su l’apprécier jadis.

— Mais non, mon chéri, tu as été très chic au contraire, de partir du nord pour venir recevoir son dernier soupir, de te donner la peine d’assister à ses funérailles, lui qui ne s’était jamais occupé de toi, qui avait vécu sa vie égoïste de vieux garçon solitaire, sans se soucier de toi qui étais seul au monde, comme tu me l’as si souvent dit, et qui souffrais tant de te savoir ainsi abandonné. Vois-tu, mon chéri, il ne faut pas faire d’héroïsme inutile et courir après la douleur. Quand j’ai appris que tu étais accouru au chevet de ton oncle, que tu étais resté pour les funérailles, je t’ai approuvé tout en te plaignant de tout cœur, c’est si ennuyeux la souffrance et la mort ; mais, maintenant qu’il repose parmi les morts, laisse ton oncle dormir en paix, et reprends ta vie de plaisirs à mes côtés, la vie serait trop embêtante si l’on s’attardait à ressasser nos chagrins et nos misères.

Et la jeune fille recommença à dresser des projets pour cet hiver qu’elle voulait plus joyeux et plus brillant que les précédents. Le jeune homme écoutait ce frivole babillage, se demandant s’il devait ce soir même révéler la grande transformation qui venait de s’opérer dans sa vie. Heureusement, Paul Lauzon vint, le reprendre.

— Yves vous a-t-il dit la bonne fortune qui lui arrivait ? C’est un grand propriétaire terrien que vous avez l’honneur d’avoir dans votre salon ce soir.

— Comment ? Il ne m’a rien dit encore.

— Il ne vous a pas dit qu’il venait d’hériter de son oncle de six cents arpents de terre avec maison grange, etc. C’est un riche héritier que notre ami Yves.

— C’est l’oncle de là-bas qui lui a laissé ces richesses ? Mais alors, vive le grand oncle, c’était un brave homme…

— Seulement…

— Seulement, s’empressa d’ajouter Yves, qui craignait que son ami n’en dît trop long, il va me falloir partir dès samedi pour St-Irénée où le règlement de la succession me retiendra peut-être quelque temps éloigné et je vais me trouver dans l’obligation de te fausser compagnie.

— Mon pauvre chéri, comme tu vas t’ennuyer là-bas… Que vas-tu faire durant ce temps-là ?

— Travailler ferme, mettre toutes ces affaires-là en ordre.

— Vendre ces terres ?… Mais ça ne presse pas, tu pourras bien les garder quelque temps, ce serait peut-être amusant aller passer l’été là-bas !… Nous amènerions tout notre groupe, ce serait notre maison à nous, c’est ça qui ferait enrager mes bonnes amies, surtout Flore Caron, qui nous parle tout le temps de sa résidence d’été à Ste-Marguerite.

— Vous pourriez même aller y vivre toute l’année, si la maison est convenable, risqua Paul qui avait saisi l’anxiété de son ami et voulait tâter le terrain.

— Ho ! mais non, durant la belle saison, la campagne c’est agréable c’est chic, du moins c’est la mode qui le veut ainsi, mais que ça doit être abrutissant l’hiver !… Pas de théâtre, pas de bals, pas de réceptions, des voisins lourdauds qui ne savent jaser que de leurs vaches, leurs chevaux, leurs foins, leurs récoltes, et vous abrutissent avec leurs discours insipides !… Vous avez vraiment la plaisanterie cruelle ce soir, mon cher Paul, et surtout, n’allez pas mettre des idées aussi saugrenues dans la tête de ce pauvre Yves, c’est un idéaliste, un enthousiaste, un poète, il pourrait s’y laisser prendre ; mais je tiens à l’avertir que s’il veut donner dans la pastorale je ne serai pas sa bergère, j’aime trop mes aises, ma bonne vie de plaisirs et de gaieté pour cela et aucune raison ne me forcerait à m’exiler de la sorte.

— Maintenant tu sais à quoi t’en tenir mon pauvre vieux, dit Paul, dès qu’ils furent sortis ça ne sera pas une maigre affaire que de décider cette jolie poupée à affronter les ennuis de la vie que tu t’es tracée ; mais après tout, en sachant t’y prendre, tu sauras bien vaincre ses résistances. Ne perds pas courage.

— Nous verrons… répondit le notaire qui s’absorba dans ses réflexions, rien ne presse d’ailleurs.


CHAPITRE VI


La mère Victoire qui jasait sur le pas de la porte avec Mlle Bérénice, la ménagère du Curé, interrompit sa conversation, pour dévisager les deux étrangers que le chemin de fer venait d’amener à St-Irénée : « Ma grande foi de Dieu Mlle Bérénice, je