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L’IRIS BLEU

crois bien que c’est le neveu de ce pauvre défunt père Marin.

— Mais certainement, Lambert que j’ai rencontré ce matin, m’a dit qu’il l’attendait aujourd’hui. Avec qui est-il donc ?

— Pas quelqu’un d’ici car je n’ai jamais vu cette figure-là. Hé ! Madame Lemay ! cria-t-elle, apostrophant la femme du marchand qui était à étendre son linge dans sa cour, c’est bien le jeune Marin, n’est-ce pas ?

— Mais certainement que c’est lui, il paraît qu’il vient s’installer dans la paroisse.

— Et l’autre ?

— Connais pas, ce doit être un de ses amis, c’est la première fois qu’il vient par ici, je l’ai entendu en faire la remarque au neveu Marin, comme ils passaient près de moi.

— Est-ce vrai que le jeune Marin est un Notaire ? questionna la ménagère du Curé.

— C’est ce que le Docteur m’a dit.

— Est-il marié ? demanda Madame Lemay qui avait des filles en âge de se caser ?

— Non, Monsieur le Curé a justement dit que s’il venait s’installer dans la paroisse, ce serait un parti bien avantageux. Mais au fait, Madame Victoire, vous qui avez une fille à la maison et une fille en âge de choisir un mari, c’est une pièce de choix qui vous est offerte.

— La pauvre chérie a trop de chagrin pour penser à ces choses pour le moment, ses pauvres yeux ne dérougissent pas, elle reste de longues heures à sangloter devant le portrait de sa défunte mère !… C’est une bien gentille petite fille et je voudrais bien la voir heureuse ; mais pour le moment le Docteur m’a dit de respecter son chagrin, nous essaierons plus tard à la sortir et à la distraire.

— Dites donc, Père Lambert ! s’écria tout à coup la marchande, hélant le fermier qui revenait de la gare avec quelques malles, « qui est-ce qui est avec le jeune Marin ? »

— Un de ses amis, un nommé Lauzon, il arrive de la guerre et vient se reposer ici quelque temps.

— Comment ? Il a été à la guerre ? Il a tué des Allemands ?

— Il parait. Monsieur Marin aussi a été à la guerre vous savez, c’est un brave homme lui aussi et pas faraud pour deux sous, il jase avec nous comme compère et compagnon, c’est tout le portrait de défunt son oncle.

— Est-ce vrai qu’il est notaire ?

— Ils sont tous notaire de pères en fils, dans la famille, à moins d’être habitants, et celui-ci sera les deux, car il doit venir s’installer à la maison où il pratiquera sa profession tout en surveillant ses champs.

— Et vous, père Lambert, qu’allez-vous devenir ?

— Il m’a promis que rien ne serait changé il veut même absolument que nous continuions à demeurer à la maison comme par le passé du moins jusqu’à ce qu’il se marie, ce qui ne saurait tarder beaucoup, car un jeune homme aussi riche que lui ne peut rester vieux garçon. Allons bonsoir la compagnie.

Monsieur le Curé appela sa ménagère, la marchande ayant terminé d’étendre sa cordée de linge, la mère Victoire laissée seule, dut cesser son commérage, faute de partenaire.

Pendant ce temps, nos deux jeunes amis, arrivés à la ferme, commençaient leur installation sommaire.

Paul enfin complètement libéré de ses obligations de service avait tenu absolument à accompagner son ami dans la visite de son nouveau domaine.

— Que c’est gentil ici !… s’écria-t-il enthousiasmé en entrant dans la vieille maison de pierre. Que c’est grand, que c’est spacieux, que tout y est vaste et que nous sommes sots de nous entasser dans les villes quand il y a tant d’espace et d’air pur à la campagne.

La nouvelle demeure du jeune notaire comprenait un corps principal de quarante pieds de front sur une profondeur de cinquante, avec rallonge en brique, servant de cuisine et de logement pour le ménage Lambert. L’entrée formait un vaste hall d’où l’on communiquait, à gauche dans un vivoir et dans la salle à manger, et à droite dans une immense salon qu’une arche massive divisait en deux. À l’arrière du hall, un escalier de chêne communiquait au premier étage où se trouvaient les chambres à coucher.

La maison était retirée du chemin de quelques arpents et le parterre en était bordé de quatre rangées d’arbres de tous âges et de toutes essences depuis les érables, les chênes, les ormes, les frênes, les noyers jusqu’aux vulgaires bouleaux et saules. Ce bosquet s’étendait sur une largeur d’un arpent à peu près, et dans les clairières du centre, le vieil oncle ne manquait jamais de planter chaque été, toutes les espèces de fleurs les plus jolies œillets, muguets, pensées, pivoines, violettes, géraniums, héliotropes, chrysanthèmes, tulipes, capucines, etc., sans compter les lilas dont les nombreuses touffes s’élevaient un peu partout et dont les parfums, au printemps, ne cessaient d’embaumer que pour céder la place aux roses dont les nombreuses variétés venaient ajouter à ce petit coin, un nouveau cachet de paradis terrestre.

Mais l’on était en automne, les fleurs é-