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L’IRIS BLEU

mort en 1758, trois jours après la victoire de Montcalm à Carillon.

Et la série se continuait : Pierre troisième notaire, Jean, son frère mort à Oswego, leurs sœurs mariées à des officiers et retournées en France ; Pierre, le quatrième notaire et agriculteur, il avait divisé le domaine entre ses sœurs et frères dont trois moururent en héros sur les plaines d’Abraham, plus loin ses deux petits-fils, Jean et Louis, morts à St-Antoine en 1837, un troisième de ses petits-fils, député, et mort après avoir, avec Cartier et McDonald, mérité le titre de Père de la Confédération Canadienne, enfin l’arrière-grand-père, beau vieillard à barbe blanche, personnifiant la double tradition agraire et professionnelle.

La page suivante représentait le grand-père avec sa figure joviale et épanouie, l’autre le vieil oncle alors qu’il était jeune et rempli d’enthousiasme, ses oncles, les pauvres émigrés, son père froid et austère, sa mère souriante et douce, lui-même d’après une photographie prise en uniforme de lieutenant, deux jours avant son départ d’Amherst Et puis, il y avait une série de pages vides…

Devait-il interrompre la tradition ?

Yves s’approcha du pauvre corps rigide et lui parlant comme s’il pouvait encore l’entendre : « Je promets ! » dit-il.

Le lendemain, les derniers devoirs rendus à son oncle, notre ami reprit le chemin de Montréal, après avoir annoncé aux Lambert, son retour pour la semaine suivante.

Pendant le trajet vers la métropole, le Notaire Marin un peu calmé des émotions qui l’avaient assailli ces jours derniers, repassait mentalement la suite des événements qui devaient tant modifier sa vie, quand tout à coup une idée le frappa à laquelle il n’avait pu jusqu’alors s’arrêter : « Quelle était donc cette jeune fille en noir, dans le banc à côté de moi à l’église, et qui pleura à chaudes larmes durant toute la messe funèbre ? »


CHAPITRE IV


Depuis deux jours qu’elle avait en sa possession la fameuse dépêche envoyée par le Dr. au Curé Ferrier et que ce dernier lui avait fait parvenir immédiatement, la mère Victoire Laurent l’avait lue et relue au moins cent fois et à chacune de ces lectures elle en était restée de plus en plus perplexe. N’y tenant plus, elle mit son manteau et son chapeau et se rendit au presbytère.

« Qu’y a-t-il ? demanda le brave ecclésiastique qu’elle trouva en train de lire son bréviaire et que son intrusion parut surprendre.

— Il y a cela, Monsieur le Curé, dit la brave femme en lui tendant la dépêche. Avez-vous lu ce télégramme ? Faut-il être simple pour envoyer une dépêche pareille !

— Mais ma bonne Victoire, je ne vous comprends pas…

— Comment ? Vous ne me comprenez pas ! Où avez-vous donc tous la tête ? Mais, l’avez-vous lue cette dépêche ?

— Certainement je l’ai lue, et j’approuve le Docteur !…

— Ma grande foi du Bon Dieu, c’est à croire que ma vieille tante Madeleine, avait raison quand elle disait, malgré le respect que je vous dois, que plus on est instruit, plus on est… !

— Mais encore une fois ma bonne Victoire, je ne comprends pas votre hésitation devant une bonne œuvre à accomplir !…

— Qui vous dit que je refuse de faire une bonne œuvre ?…

— Enfin, je ne comprends pas…

— Vous ne comprenez pas. Eh bien moi, Monsieur le Curé, je comprends encore moins. Tenez ! lisez ! « Préparez chambre pour petite Andrée. »

— Vous ne prétendez pas que le Docteur envoie cette pauvre enfant à l’orphelinat ?

— Mon Dieu Seigneur, Monsieur le Curé, que vous êtes dur de comprenure ce matin. Dieu me garde d’avoir une pareille pensée, mais encore, faut-il savoir quel âge elle a cette petite Andrée. Est-ce un bébé ? Est-ce une jeune fille de quinze ans ? Est-ce une gamine de dix ans ? Le Docteur ne le dit pas. Vous en a-t-il parlé de cette enfant ?

— Ah ! je comprends maintenant.

— C’est pas trop tôt Monsieur le Curé.

— J’avoue, ma brave Victoire, que je suis perplexe moi-même, et pourtant ça ne doit pas être un bébé puisque le Docteur parle de lui faire préparer une chambre.

— Ça ne doit pas être une bien grande Demoiselle non plus, puisqu’elle dit « la petite Andrée. »

— J’ai lu la lettre de la mère, elle parlait elle aussi de sa « petite fille », elle doit avoir une dizaine d’années cette enfant.

— Comme ça, Monsieur le Curé, pas besoin d’un ber ?…

— Non risquez plutôt une petite couchette, vous pouvez demander aux Loranger, dont les enfants sont grands, de vous prêter la leur en attendant une installation définitive. Et bien convaincu d’avoir parlé « ex cathedra »… le brave Curé s’en retourna en récitant son bréviaire.

La mère Victoire, sortie enfin de son indécision courut chez ses voisins emprunter leur