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L’IRIS BLEU

26 juin 1920.

Malgré ma défense formelle, Victoire n’a pu résister au désir de me rapporter les sots commérages qui se colportent dans le village. Il paraît que d’après ces bonnes commères, mon mariage avec le dernier des Marin ne fait plus de doute pour personne, il n’y aurait que la date à décider. Après tout, Victoire a eu raison de me prévenir et, décidément, je n’irai pas chez Jeanne dimanche.

Aperçu de loin le gentleman-farmer-notaire.

27 juin 1920.

Ça y est, j’ai été malade cet après-midi, oh ! mais réellement malade, du moins à ce qu’il en a paru, car en mon for intérieur, je sentais bien que je me portais aussi bien que jamais ; mais il faut croire que j’ai des dispositions pour le théâtre, car le cousin s’est laissé prendre et cette bonne Victoire paraissait tellement inquiète, maugréait avec une telle rage contre mes longues excursions à travers la campagne : « Aussi peut-on laisser une pauvre enfant aussi délicate se promener au gros soleil, courir les bois, les champs comme une fille d’habitant ! Elle aura attrapé un coup de soleil la pauvre chérie. Je vous l’ai dit, Docteur, vous ne devriez pas la laisser sortir ainsi ; mais vous, pourvu que vous avez le nez dans vos livres, vous ne voyez rien ! C’est encore de votre faute. Docteur ! » et patati, patapan, la chère vieille continuait ses doléances, cependant que le cousin m’administrait une médecine atroce qu’il m’a fallu absorber bon gré, mal gré, sans protester.

J’ai alors feint de dormir et le cousin est parti sur mon instance pour aller présenter mes excuses à Jeanne.

Vers neuf heures et demie, il est revenu. Il paraît qu’il y était et même qu’il a paru quelque peu désappointé de mon absence. La consternation règne dans le camp et l’on paraît enfin disposé à se ranger à l’avis du Curé et à laisser la jeunesse, la force d’attraction, etc.

28 juin 1920.

Comme je me disposais à sortir en quête d’iris et de nénuphars, mon malaise d’hier s’étant complètement dissipé, j’ai rencontré le père Moreau, le doyen des rentiers du village, et l’idée m’est venue de lui demander où je trouverais ces fleurs.

— Des iris bleus ? Je ne connais pas cela. Mademoiselle. Mais oui ! tenez, j’y pense ; Iris bleu, c’était le nom que portait autrefois la ferme de Monsieur Marin, il doit y en avoir là. C’est drôle, je croyais que des iris, c’était des oiseaux…

— Merci beaucoup, Monsieur Moreau, je vais tâcher d’y aller. Et comme je lui faisais la description de cette fleur, il s’exclama :

— Ah ! c’est des clajeux que vous voulez dire. Bien alors, je puis vous dire où en trouver. Autrefois, tout le rivage de la coulée des Trente en était garni ; aujourd’hui, vous n’en trouverez plus qu’à l’endroit où la coulée se jette dans la rivière. Tenez, prenez la route et descendez vers la rivière tout près du pont de terre d’en bas de Salvail.

Là-dessus, le vieillard me laissa, cependant que moi-même je reprenais le chemin de la maison, remettant à demain cette excursion trop longue et trop fatigante pour une convalescente.

J’ai rencontré deux fois l’héritier des Marin. Sourire de plus en plus gracieux.

Ce soir, le cousin m’annonce qu’il a reçu sa visite. Il doit partir pour Montréal afin d’y faire l’achat de machinerie pour la nouvelle usine de toile et de laine qu’il doit inaugurer au commencement de l’automne. Il sera absent toute une semaine… Comme je vais être heureuse durant ce temps, je pourrai sortir librement sans m’exposer à me trouver à chaque pas nez à nez avec lui !

29 juin 1920.

Suivant le conseil de Monsieur Moreau, je suis partie ce matin vers le Bas de Salvail à la recherche d’iris bleus. Il y en a précisément à l’endroit indiqué dont quelques-uns sont déjà en fleurs ; mais ils ont eu la mauvaise idée d’aller pousser en plein milieu d’un marais, repaire de grenouilles, de guêpes et que sais-je encore ? Tout près il y avait une abondante moisson de nénuphars ; mais eux sont au milieu de la rivière et comme je n’ai jamais appris à nager, je ne suis pas plus avancée qu’auparavant.

Par contre j’ai fait une ample provision de quenouilles en fleurs. Quelle miracle de fécondité. Les fleurs en sont tellement pressées qu’elles semblent former un tout compact ; mais si vous les examinez à la loupe, vous demeurez ébahis d’y découvrir une telle richesse et une aussi grande variété de coloris.

Il est parti hier soir. J’ai donc une bonne semaine de paix et de tranquillité devant moi. Comme je vais bien en profiter !

30 juin 1920.

Je suis allé herboriser dans la sucrerie de Monsieur Marin. J’étais certaine de ne pas