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L’IRIS BLEU

du bon pasteur, de ses enthousiasmes, de ses rêves, se sentait plus ému qu’il n’aurait voulu le laisser paraître.

— Ce n’est pas tout, ajouta Monsieur Ferrier, avez-vous lu « Le Devoir » de ce soir ? Et comme mon cousin n’avait pas encore déplié son courrier, le nouvel auteur sortit la feuille nationaliste qu’il étala devant nos yeux. En première page, en bon caractère gras, le titre du nouveau livre frappa notre attention « Les hôtes de nos bois et de nos champs ».

« C’est un beau et bon livre, dû à la plume modeste d’un vénérable curé de campagne que nous avons le plaisir de présenter au public, » commençait l’article qui ne tarissait pas d’éloges sur le travail bénédictin du curé.

— C’est très flatteur, Curé, ce que l’on dit de vous, je commence à craindre pour votre modestie…

— Mon cher Docteur, c’est surtout flatteur pour mes petits oiseaux qui m’ont fourni le sujet de mes études.

— D’ailleurs, ce qu’on dit de vos travaux n’a rien d’exagéré. Moi qui fus votre compagnon depuis au-delà de vingt ans, je sais que vous méritez toutes ces louanges.

— Et, tenez, Mademoiselle, avez-vous lu le premier paragraphe ayant trait à l’illustration de mon ouvrage ? Quel éloge discret l’on fait à votre talent, à la pureté des lignes de vos dessins, à leur richesse de coloris ! Cette partie de l’article m’a fait autant de plaisir que le bien qu’on y dit de moi !

La conversation a roulé durant deux heures sur le volume nouvellement paru et sur le succès éventuel qui l’attendait. Ce brave homme de Curé, c’est un peu un grand enfant, il voulait absolument qu’à mon tour j’écrive un volume sur la flore canadienne ; mais Dieu merci, j’aime mes fleurs pour moi, mon herbier est un petit coin qui me parle sourire, tendresse et joliesse quand je me sens triste et esseulée ; mais personne n’y mettra jamais le nez !!!

J’oubliais de dire que je suis retournée à mes iris, ce soir, avant souper. Hélas ! ces pauvres fleurs ne pouvaient être éternelles ! Fleurs, elles n’ont vécu que ce que vivent les fleurs, quelques jours seulement ! (Encore un peu, et je plagiais Malherbe !) Les pétales en sont tombés, pistils et étamines sont flétris et la capsule commence déjà à se montrer. Heureusement, des boutons commencent à poindre qui vont d’ici quelques jours s’épanouir, et pour un iris perdu j’en aurai vingt après-demain.

4 juillet 1920.

Aujourd’hui dimanche, je me sens encore plus lasse et plus triste. Le soleil est trop ardent, il cherche avec trop d’artifices à nous faire oublier son absence de la semaine dernière. Au fait est-ce bien le soleil ? À trois ou quatre reprises, je me suis surprise à penser à mon merle blanc et, de ne pas le rencontrer à chaque pas comme j’en avais la désagréable habitude, je me sens presque déçue. Ce que c’est que la force de l’habitude ! On s’habitue même aux choses désagréables, et lorsqu’elles nous manquent, on se sent toute chose ! À la messe, en dépit de toute ma bonne volonté, je fus affreusement distraite, je n’ai pu suivre le sermon de Monsieur Ferrier qui (voulait prêcher pour sa paroisse ?) nous a longuement entretenus sur les beautés de l’humilité.

En dépit de ma meilleure application, je ne pouvais détacher mes esprits de cette première visite à la petite église alors qu’assistant aux funérailles de Pierre Marin, je pleurai tant de larmes sur le deuil affreux qui venait de me frapper moi-même.

Rentrée dans ma chambre je ne pus retenir mes sanglots ; mais à travers mes pleurs j’entrevoyais la figure triste de Monsieur Yves rendant les derniers devoirs à cet oncle qu’il n’avait que très peu connu, mais dont il voulait être solidaire devant la mort. Je me suis reproché cette vision comme une profanation aux larmes que je donnais à ma pauvre maman…

Ce soir, visite chez Jeanne que j’ai trouvée comme toujours, au septième ciel.

5 juillet 1920.

Le soleil, les oiseaux, les fleurs, cela m’ennuie à la longue… Je ne me sens aucune joie à herboriser, aucun plaisir à courir les champs et ce méchant cousin qui sourit de ma tristesse. Comme je lui disais pour la vingtième fois que je m’ennuyais, il m’a répondu avec un sourire ironique :

— Que veux-tu ma pauvre Andrée, c’est le Créateur Qui a fait cette constatation : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ! » et tu sais, quand il disait l’homme, il comprenait aussi la femme, car, suivant un vieil adage juridique, « l’homme est un terme générique qui embrasse la femme ! »

— Dites plutôt embarrasse cousin ! Quant à celui qui m’embarrassera ou, comme vous le prétendez, qui m’embrassera, il est encore loin !

— Qui sait ? qui sait ! conclut-il en souriant.

Le Curé nous est arrivé ce soir avec des