Page:Larivière - La Villa des ancolies, 1923.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
44
La Villa des Ancolies

— Il était déjà trop tard, le chemin était tracé, il me fallait le suivre. Vois-tu, ma petite Yo, la vie est comme ces nombreux convois qui laissent à chaque instant la gare Bonaventure, par exemple. Le point de départ est le même, mais la destination est différente. Malheur à celui qui se trompe de convoi ; s’il veut aller à Portland et prend le rapide d’Halifax, les amis qui attendent sa venue se rendront en vain à la gare pour saluer son arrivée. C’est mon cas, j’ai été celle que la fatalité a poussée à prendre le mauvais convoi.

— On vous attendait à Québec…

— Et j’ai pris le train de New York, le rapide vers la vieillesse…

— Mais on peut toujours revenir sur ses pas, marraine.

— Crois-tu, petite, que la patience humaine soit aussi grande que l’on s’obstine indéfiniment à attendre une voyageuse si en retard ? Et puis, dans mon cas, y eut-il jamais un ami à la gare ? D’ailleurs, pourquoi parler de ces choses, je suis maintenant une vieille fille, maniaque…

— Vous une vieille fille ?… Mais vous n’avez pas encore trente ans !

— On a l’âge que l’on paraît avoir.

— De nos jours, marraine, il y a tant de gens qui s’appliquent à ne pas laisser paraître l’âge qu’ils ont… Et si vous aviez un brin de coquetterie… Mais j’ai terminé mon dîner et si vous le permettez, nous allons faire le tour de la propriété ?

— Un moment encore, j’aurais un conseil à te demander.

— Un conseil ? à moi ? Mais je ne suis pas avocat, et si je copie des procédures et écris des lettres d’avocat, je vous assure que je n’entends rien aux grimoires de la loi.

— Cela t’ennuierait ?

— Mais pas du tout, marraine chérie, si cela vous fait plaisir. Un moment que je prenne l’attitude solennelle de M. Beaupar-