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XI
PRÉFACE.

ce travail, et nous avons reconnu que, presque partout, les règles qu’on aurait pu poser auraient dû être suivies d’exceptions si nombreuses qu’on ne pourrait plus distinguer les unes des autres. Nous en avons conclu qu’il fallait s’en tenir à l’usage comme règle unique, et nous avons constaté cet usage en indiquant la prononciation de chaque mot, isolément, au moyen des lettres mêmes de notre alphabet, considérées comme représentant partout les mêmes sons et les mêmes articulations, c’est-à-dire qu’après avoir donné l’orthographe usuelle de chaque mot, nous l’avons mis sous les yeux de nos lecteurs tel qu’il devrait être écrit si l’orthographe était toujours la peinture fidèle de la prononciation.

Nous avons dit que le travail de l’Académie, indépendamment des critiques que nous venons de faire relativement au plan qu’elle s’est tracé, présentait des imperfections dans l’exécution. Nous allons en signaler quelques-unes. Parmi les mots qu’on regrette de ne pas trouver dans son dictionnaire, il en est plusieurs qui méritaient à tous égards d’y occuper leur place ; tels sont : achalandage, capitaliser, coloration, confortable, décigramme, diorama, éditer, incorrectement, moralisation, démoralisation, démoraliser, etc. Il est vrai que, dans les explications qu’elle donne, aux articles où elle traite des particules de, in, sous, re, elle dit formellement que l’usage permet d’employer ces particules pour former un grand nombre de mots composés qu’il serait inutile de réunir dans un dictionnaire. Elle aurait pu dire la même chose des finales âge, able, ible, ment, des initiales contre, déci, centi, entre, etc., et, par là, elle se serait excusée de la plupart des omissions qu’on lui reproche ; mais elle ne l’a pas fait, et tout ce que peuvent dire ses défenseurs, c’est qu’elle l’a laissé entendre. Cela suffit-il quand on a reçu la mission spéciale de résoudre toutes les difficultés de la langue ? Il est permis d’en douter, surtout quand il est évident qu’une vingtaine de pages ajoutées à chacun des deux volumes auraient suffi pour donner place à tous les mots dont l’absence est vraiment regrettable ; car, encore une fois, personne ne songe à exiger que le Dictionnaire de l’Académie soit un dictionnaire universel.

Outre l’orthographe et la signification des mots, le dictionnaire de la langue doit encore donner la solution des principales difficultés grammaticales. L’Académie l’a bien compris, et elle résout en effet les plus graves, quelquefois, mais rarement, en posant une règle générale, le plus souvent en donnant simplement un ou deux exemples où le cas douteux se trouve appliqué comme il doit l’être. Certains grammairiens auraient voulu que l’Académie motivât ses décisions : elle en a jugé autrement, et elle a bien fait peut-être au point de vue de son autorité ; car si elle avait raisonné ses opinions, on aurait pu vouloir les discuter avec elle, et chacun sait combien il est difficile de mettre d’accord les grammairiens quand ils entrent une fois dans la voie des controverses. Toutefois, il est regrettable que l’Académie ait laissé sans réponse beaucoup de questions, surtout quand elle a répondu à d’autres tout à fait analogues : ainsi, puisqu’elle indique les formes plurielles de beaucoup de mots en al ou de noms composés, pourquoi ne le fait-elle pas pour une foule d’autres ? Ici encore, nous avons cru devoir suivre une autre marche qu’elle, et nous avons fait en sorte que notre dictionnaire fournît immédiatement la réponse à toutes les questions de grammaire qui peuvent embarrasser les étrangers, et quelquefois les Français eux-mêmes. Mais quand l’Académie a prononcé, nous respectons presque toujours son arrêt, et nous nous efforçons de le respecter, même dans les cas particuliers qu’elle laisse indécis, prenant pour guide l’analogie et cherchant à deviner, d’après ses principes avoués, comment elle aurait résolu les difficultés si elle avait jugé convenable de les aborder. Pourtant, nous nous sommes permis, sur un très-petit nombre de points, d’adopter une opinion différente de la sienne : nous allons citer deux cas seulement, afin que nos lecteurs jugent si nous avons eu de bonnes raisons pour décliner ainsi l’autorité du savant aréopage. Quand un nom d’homme ou de ville se compose d’un article et d’un substantif, l’Académie ne met la majuscule qu’au substantif ; elle écrit la Fontaine, la Bruyère, du Bellay, et nous croyons devoir écrire La Fontaine, La Bruyère, Du Bellay ; nous ne connaissons point, parmi les illustrations de notre patrie, d’hommes qui se soient nommés Fontaine, Bruyère, Bellay ; ceux que nous connaissons avaient des noms qui commençaient par La, Du ; nous ne croyons pas pouvoir nous dispenser de différencier par la majuscule cette première partie qui nous paraît tout aussi nécessaire que la seconde. À l’article consacré au mot plus, l’Académie donne cet exemple : L’astronomie est une des sciences qui fait le plus ou qui font le plus d’honneur à l’esprit humain, et elle ajoute cette remarque, que le dernier est plus usité. Nous nous prononçons d’une manière beaucoup plus absolue, et nous disons que, de ces deux façons de parler, la dernière seule est correcte. Nous reconnaissons, il est vrai, que la première peut être appuyée sur d’illustres exemples ; mais nous ne craignons pas de dire que les plus grands génies peuvent se tromper, surtout quand la langue n’est pas encore faite, et nous croyons qu’ils se sont trompés quand ils ont écrit des phrases de cette nature ; la logique le prouve, et l’usage actuel des bons écrivains vient à l’appui de la logique.

On le voit donc, le culte que nous avons voué à l’Académie n’est pas une idolâtrie ; nous mettons la raison au-dessus d’elle, mais nous reconnaissons que, dans l’ensemble de son travail, elle n’a pas eu elle-même d’autre guide que la raison. Les critiques que nous nous sommes permises n’ôtent rien au respect que ce corps illustre nous inspire et qu’il nous a toujours inspiré. Pour le prouver, nous allons, en terminant cette partie de notre revue lexicologique, rappeler ce que nous écrivions, il y a plus de dix ans, dans la préface d’un dictionnaire destiné surtout aux jeunes gens des écoles : « Depuis les factums de Furetière et les boutades de Chamfort, il est devenu en quelque sorte à la mode, parmi nos grammatistes modernes, de débuter dans la carrière par une critique à l’adresse du Dictionnaire de l’Académie, et ces critiques sont d’une extrême vivacité, comme tout