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X
PRÉFACE.
Il se faut entr’aider, c’est la loi de nature.
      L’âne un jour pourtant s’en moqua,
      Et ne sais comme il y manqua,
      Car il est bonne créature.
— Un meunier et son fils….
Allaient vendre leur âne un certain jour de foire.
— Le plus âne des trois n’est pas celui qu’on pense.
— L’ânier qui tous les jours traversait ce gué-là,
      Sur l’âne à l’éponge monta.

Dans ces divers cas, l’âne a simplement son caractère d’animal, de bête de somme. Au contraire, La Fontaine veut-il mettre en relief une circonstance comique, un côté ridicule, c’est le mot baudet qu’il a toujours soin d’employer :

· · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Ayant au dos sa rhétorique
Et les oreilles d’un baudet.
         Et ne sais comme il y manqua,
Seigneur loup étrangla le baudet sans remède.
Un baudet chargé de reliques
S’imagina qu’on l’adorait :
Dans ce penser il se carrait.
· · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Maître baudet, ôtez-vous de l’esprit
    Une vanité si folle.

Ici le mot âne ôterait à l’idée toute sa finesse et tout son relief, ce qui n’empêche pas l’Académie de mettre au mot Baudet : synonyme de âne. Évidemment, si notre La Fontaine avait assisté à la séance où cette difficulté a été si lestement tranchée, il n’eût pas signé le procès-verbal sans clameur de haro.

Deux reproches plus sérieux ont été adressés à nos académiciens ; c’est d’abord de n’avoir jamais indiqué l’étymologie ; ensuite de n’avoir cité, comme exemples de l’emploi des mots, que des phrases faites exprès par eux et dont la plupart n’expriment que des pensées fort insignifiantes. Est-ce la science qui a manqué aux académiciens de notre temps pour donner l’étymologie des mots ? Nous n’oserions pas le dire, et nous inclinerions plutôt à penser que, trouvant la plus grande partie du travail faite par leurs prédécesseurs à une époque où la science étymologique n’existait pas encore, ils ont reculé devant la pensée de tout recommencer et de retarder ainsi indéfiniment l’apparition de leur dictionnaire. Quant aux phrases d’exemples, on pourrait croire qu’ils ont fait acte de modestie en refusant de se citer eux-mêmes, puisque leurs ouvrages se trouvaient nécessairement au nombre de ceux où ils auraient dû, dans un autre système, puiser la plupart de leurs citations. Quoi qu’il en soit, il nous semble évident que le travail serait plus complet s’il faisait connaître l’origine et l’histoire des mots ; qu’il se lirait avec plus de plaisir si l’on y rencontrait à chaque pas quelques-unes des belles pensées exprimées par Pascal, Bossuet, Bourdaloue, Fénelon, Voltaire, J.-J. Rousseau, Montesquieu, Buffon, et par nos littérateurs modernes ; si l’oreille était de temps en temps charmée par l’harmonie des vers de nos grands poètes. Les lecteurs du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle verront que, venu après le Dictionnaire de l’Académie, nous n’avons pas voulu qu’on pût nous faire les mêmes reproches : il fallait de longues et pénibles recherches pour remonter à l’origine première de tous les mots ; pour pouvoir donner des phrases d’auteurs comme exemples sur toutes les acceptions, il fallait consacrer un temps considérable à lire les principaux chefs-d’œuvre de notre littérature, depuis le xve siècle jusqu’au xixe : nous n’avons pas reculé devant la difficulté de la tâche. Voltaire, avant nous, avait eu la même idée, c’est M. Villemain lui-même qui le constate dans la préface du dictionnaire : « Quand Voltaire vint à Paris, en 1778, pour donner encore une tragédie au public, voir le siècle qu’il avait fait et mourir, son infatigable activité d’esprit le fit songer même au Dictionnaire de l’Académie, et il entreprit de le recommencer sur le plan philologique qui convient aux langues vieillies. Il voulait recueillir, pour chaque mot, l’étymologie reconnue ou probable, les acceptions diverses, avec des exemples tirés des auteurs les plus approuvés, et faire revivre toutes les expressions pittoresques et énergiques de Montaigne, d’Amyot, de Charron, qu’a perdues notre langue. Voltaire arrêta lui-même le projet, se chargea de la lettre A, et avait hâte de mettre toute l’Académie à l’ouvrage. Mais cette dernière volonté de son testament littéraire se perdit après lui, et la révision du travail de 1762 fut continuée dans la même forme. »

Il est encore un autre point sur lequel nous avons cru pouvoir faire mieux, ou tout au moins autrement que l’Académie : notre langue renferme un grand nombre de mots dont la prononciation est douteuse, même pour les Français ; et pour les étrangers, on peut dire qu’une foule de mots offrent, sous ce rapport, des difficultés presque insurmontables ; or, l’Académie ne les résout que pour un très-petit nombre de cas. Fallait-il, pour être plus complet, essayer de ramener notre prononciation à des règles générales ? Si cela eût été possible, l’Académie l’aurait fait certainement ; nous avons tenté nous-même